Tocqueville et Hippolyte Taine ont montré combien les classes dirigeantes de la monarchie décadente avaient précipité leur propre liquidation. D’après eux, l’aristocratie de la seconde moitié du XVIII° siècle a épousé et protégé des doctrines qui devaient fatalement conduire les siens à l’échafaud. Par frivolité et par inconséquence.
Ecoutez Tocqueville (L’Ancien Régime et la Révolution) parler de l’aristocratie : « les doctrines les plus opposées à ses droits particuliers, et même à son existence, lui paraissaient des jeux fort ingénieux de l’esprit ; elle s’y mêlait elle-même volontiers pour passer le temps, et jouissait paisiblement de ses immunités et de ses privilèges, en dissertant avec sérénité sur l’absurdité de toutes les coutumes établies. » (Livre III, chapitre 1°)
Et Taine (dans Les origines de la France contemporaine), résumant l’état social de la France d’en haut à la veille de la Révolution : « Une aristocratie imbue de maximes humanitaires et radicales, des courtisans hostiles à la cour, des privilégiés qui contribuent à saper les privilèges, il faut voir dans les témoignages du temps un étrange spectacle. »
Et de citer cet extrait révélateur des Mémoires du comte de Ségur, justifiant le goût de ses amis bien nés pour les philosophes des Lumières : « Ce n’étaient que combats de plume et de parole qui ne nous paraissaient pouvoir faire aucun dommage à la supériorité d’existence dont nous jouissions, et qu’une possession de plusieurs siècles nous faisait croire inébranlable. Les formes de l’édifice restant intactes, nous ne voyions pas qu’on le minait en dedans. » (Livre IV° chapitre II)
Lénine avait une formule cinglante pour décrire la complaisance d’une partie des classes possédantes envers les doctrines mêmes qui prévoyaient leur dépossession : « les capitalistes sont tellement bêtes qu’ils nous vendront la corde pour les pendre. »
Hypocrisie
L’hyper-classe des super-riches finance des causes « avancées », braquant contre elle les classes moyennes et populaires. C’est exactement le chemin que sont en train de prendre les ultra-riches d’Occident, selon le géographe Joel Kotkin. Durant tout le XX° siècle, écrit-il, la business class, les possédants ont soutenu les Conservateurs en Grande-Bretagne, les Républicains aux Etats-Unis, les Libéraux en Australie. Ils votaient à droite, pour les partis qui protégeaient les droits de propriété et n’augmentaient pas les impôts, conformément à leurs intérêts.
Mais à présent que les élites urbaines votent démocrate ou travailliste, tandis que les anciens ouvriers, ruinés par les délocalisations, ont déserté les partis de gauche, ce sont ces derniers que soutiennent de leurs deniers les super-riches. En particulier aux Etats-Unis. Tant à Hollywood que dans la Silicon Valley, en particulier, où se font les grosses fortunes, il est de bon ton d’afficher des opinions avancées, de se moquer de la morale traditionnelle et même de la décence ordinaire, et surtout de prêcher une écologie d’autant plus radicale qu’on se garde bien de la mettre en pratique.
Je cite Kotkin « les classes supérieures aujourd’hui ont adopté un agenda qui fait peu usage des valeurs traditionnelles que ce soit les rôles sexuels ou les normes culturelles. De plus en plus, il ne s’agit plus simplement de tolérance, non, mais d’un défi agressif envers la culture familiale autrefois considérée comme l’un des fondements de la réussite des sociétés. »
Le changement climatique est un problème en mal de solutions. Mais les approches favorisées par les super-fortunés rendent évidente leur hypocrisie.
Joel Kotkin
La super-classe, afin de démontrer son ouverture d’esprit, finance largement des associations destinées à promouvoir des causes dont les objectifs heurtent de plein fouet les sentiments des classes moyennes et populaires, comme le fait de ne plus élever les enfants selon leur sexe biologique.
Un soutien verbal et financier aux causes les plus « vertes »… qu’on ne les met nullement en pratique dans son propre mode de vie. Mais c’est surtout dans le domaine de la défense de l’environnement que s’investissent les riches donateurs. « Le changement climatique est un problème en mal de solutions, écrit Kotkin. Mais les approches favorisées par les super-fortunés rendent évidente leur hypocrisie. Comme des aristocrates médiévaux, nos oligarques se sont créé des dispenses spéciales aux injonctions “vertes” qu’ils contribuent à imposer aux autres. » L’exemple le plus fameux est celui de ses sommets consacrés au climat et à la critique des énergies fossiles, auxquelles de très nombreux participants se rendent en jets privés.
La décroissance est fondamentalement anticapitaliste
Mais là où ces généreux donateurs parviennent à faire adopter les législations qui ont leur faveur, les prix de l’énergie et de l’immobilier s’envolent – ce qui ruine les classes moyennes. Et contribue à les dresser contre les politiques écologistes. L’exemple de la Californie, l’Etat censé le plus « vert » des USA est flagrant : les taux de pauvreté y sont parmi les plus élevés du pays, alors même que les émissions de gaz à effet de serre ont en réalité très peu baissé. D’ailleurs, les industries les plus polluantes ont été délocalisées au Mexique ou en Chine, sans que le climat y gagne quoi que ce soit.
Les super-riches ne tarderont pas à réaliser, en outre, que l’écologie profonde, celle qui défend la décroissance, est fondamentalement anticapitaliste. En la soutenant de leurs dollars, les super-riches auront ainsi financé la corde pour les pendre…
Crédit : France Culture