Le débat sur la 5G prend en France une tournure si particulière, si absurde, qu’il faut en comprendre les racines. Et en dénoncer les caricatures.
Beaucoup de gens qui s’y opposent se demandent s’il est vraiment raisonnable de déployer tant d’investissements, de consommer tant d’énergie, et de prendre tant de risques, juste pour pouvoir regarder plus commodément des films sur les innombrables plateformes qui les proposent. Ils ont beau jeu d’expliquer que l’essentiel de la bande passante est et sera utilisé pour de la distraction et que ce n’est pas essentiel. Ils ont raison. Ou plutôt, ils auraient raison si telle était la réelle fonction de la 5G.
En fait, l’amélioration massive de la vitesse de collecte et de traitement des données, que permet la 5 G, a d’autres objectifs : elle permettra en effet d’abord de déployer les moyens d’une chirurgie de précision à distance et de faire fonctionner des voitures autonomes, qui nécessitent, l’un et l’autre, des temps de réaction extrêmement brefs.
Les plus radicaux des opposants à la 5G diront encore que ces deux objectifs ne sont pas non plus prioritaires ; qu’on peut, et qu’on doit même, développer une médecine de proximité ; et que la voiture autonome est désormais dépassée par les exigences climatiques. Ce sont des arguments que je peux entendre.
Un formidable outil de productivité économique et écologique
Seulement voilà, le véritable gain que permet la 5G n’est pas encore là. Il est dans son usage à l’intérieur même de la machine industrielle. Elle permettra en effet, couplée avec l’Intelligence Artificielle et l’Internet des objets, de gérer au mieux les grands réseaux d’énergie ; de réduire massivement les gaspillages et les fraudes ; de mieux surveiller les échanges bancaires, pour y déceler, là aussi, les fraudes et les activités suspectes ou criminelles ; de mieux contrôler les activités d’assurances, d’optimiser les routes des camions, des bateaux, des avions, pour qu’ils consomment le moins possible d’énergie, et de réduire massivement les risques de pannes et d’accidents des machines, des voitures, des avions.
Autrement dit, si elle est orientée vers l’industrie – et peut être seulement vers l’industrie -, la 5G est un formidable outil de productivité économique et écologique.
Si on ne le voit pas, en France moins qu’ailleurs, c’est qu’on n’y évalue les évolutions technologiques que par leur impact sur la consommation et non pas sur la production. Parce qu’on ne veut retenir de l’industrie que ce que les gens consomment, et pas ce qu’ils produisent.
Pas étonnant alors que nous soyons le pays européen dont le déficit commercial est le plus élevé, celui qui consacre le moins d’effort à former des ingénieurs, et à inciter les rares qui sortent de nos excellentes écoles à ne pas se détourner de leur vocation d’origine pour aller vers les métiers de la finance ou de la politique.
Ce n’est pas nouveau : c’est en France que bien des innovations industrielles ont commencé et sont restées sans suite. De la machine à vapeur à internet, d’innombrables tournants ont été manqués en France, parce qu’on ne s’est pas intéressé assez à l’usage industriel des inventions. Parce que l’industrie est ressentie comme sale, dégradante, à la différence des services. Parce qu’on n’évalue une innovation que du point de vue du consommateur.
En agissant ainsi, à propos de la 5G et de bien d’autres domaines, on continuera à s’enfoncer. On continuera à voir l’industrie comme une source de problèmes, ce qu’elle est, sans voir qu’elle aussi la seule source de solution : C’est par l’industrie, et seulement par elle, qu’on trouvera des façons d’économiser massivement de l’énergie. Et pas par un usage, qui ne peut être qu’anecdotique, qu’on le veuille ou non, de moyens de transport centenaires.
Redonner toute sa place à l’industrie
Nous sommes en train de perdre nos dernières compétences en énergie nucléaire. Nous n’avons encore aucune compétence de taille mondiale en énergie intermittente. Nous n’avons aucune firme véritablement globale et leader du marché européen en intelligence artificielle, en automatisme industriel, en nanotechnologie, en biomimétisme, pour ne parler que de quelques-uns des grands secteurs de demain.
Il est urgent de redonner toute sa place à l’industrie. De comprendre que nous allons vers des sociétés hyperindustrielles et non pas postindustrielles. De créer un ministère digne de ce nom qui en ait la charge. De redonner à nos écoles d’ingénieurs la mission de former des ingénieurs, et pas de servir de terrain de recrutement pour les services les plus spéculatifs du système financier mondial. De donner à ces ingénieurs la mission exaltante de trouver des réponses industrielles aux problèmes du climat, du recyclage des déchets, de l’écoconception des machines et des objets. Et tant d’autres problèmes.
La solution de nos problèmes économiques, écologiques et sociaux est dans d’autres façons de produire, bien plus que dans d’autres façons de consommer. Tant qu’on n’aura pas compris ça, et donné toute sa place à l’industrie, on continuera à aller vers l’avenir à reculons.