Dans Les Echos, Jacques Attali analyse les moyens financiers mis en oeuvre pour traverser la crise actuelle. Et s’étonne de l’écart gigantesque entre les sommes gigantesques promises sur le long terme pour tenter d’enrayer la crise économique et celles, bien plus modestes, qui doivent être engagées rapidement pour sortir de la crise sanitaire.
Une crise volontaire, la plus grande depuis un siècle ; déclenchée délibérément par l’humanité presque toute entière, pour sauver des vies, parce que seul un confinement pouvait les protéger. Une crise au coût immense : des centaines de millions d’emplois perdus ou menacés ; la disparition de plus de 25.000 milliards de dollars de l’épargne placée dans les entreprises cotées ; et une perte plus grande encore pour ceux qui ont investi dans d’autres entreprises plus petites, non cotées, souvent le seul patrimoine d’un commerçant, d’un restaurateur, d’un garagiste ; et tant d’autres.
A regarder les montants engagés pour surmonter cette crise, on a le sentiment que tous les guichets sont ouverts à l’infini : les Banques centrales mettent des montants annoncés comme illimités ; les Etats laissent filer les déficits. En particulier, l’Union européenne débat en ce moment même de savoir si elle mettra, en plus, 400 milliards ou 1.500 milliards, garantis par les budgets nationaux. Au total, plus de 10.000 milliards de dollars sont engagés dans cette bataille. Soit environ 10% du PIB mondial.
Cet argent, plus ou moins imaginaire, emprunté aux générations futures, distribué, légitimement, pour faire survivre tout ce qui est touché par cet arrêt volontaire de l’économie, ne trouve vraiment son sens, qui si on est convaincu qu’on pourra bientôt mettre fin à cette crise.
Or, ce n’est pas le cas. Et cela ne pourra l’être que si on prend conscience au plus vite que l’économie mondiale ne redémarrera jamais, si on ne on décide pas mondialement de deux priorités :
L’une, de long terme, dont je parle ici depuis un mois, et que je nomme « l’économie de la vie », dont dépend tout le reste : la santé, l’hygiène, l’alimentation, l’éducation, la recherche, les énergies propres, la distribution, la sécurité, le digital, la culture, l’information. C’est à ces secteurs qu’il faut consacrer l’essentiel des efforts, et vers lesquels il faut reconvertir une large partie des autres.
L’autre, à plus court terme, d’une urgence plus absolue et plus évidente encore, à laquelle pourtant, on ne consacre que très peu de moyens : le médicament et le vaccin qui arrêteront cette épidémie. Car, il faut affronter la réalité : sans médicament, ni vaccin, ce confinement devra continuer pendant des années, au moins dans des larges parties du monde, et pour de larges parties de la population mondiale.
Pour autant, de cette urgence évidente, personne ne parle vraiment : on polémique ici ou là sur l’efficacité éventuelle de tel ou tel médicament ancien, et on évoque quelques projets de recherche, sporadiques et lointains : Pas de médicaments avant un an. Pas de vaccins avant deux ans, dit-on.
Rien n’est fait de massif pour réduire ces échéances. Ni les Gouvernements, dont c’est la responsabilité, ni les GAFA, qui promettaient de vaincre la mort, ne semblent s’en préoccuper vraiment. Mis à part quelques grands centres de recherche dans le monde, qui y travaillent, avec peu de moyens, à marche forcée ; et quelques milliardaires (Jack Dorsey, fondateur de Twitter, qui va y consacrer le tiers de sa fortune personnelle, soit un milliard de dollars, et Bill Gates, qui se tient prêt à produire en masse mondialement les vaccins une fois qu’ils auront été développés) rien ou presque.
On en connait le coût : Pour conduire avec succès et au plus vite les recherches sur les vaccins et les médicaments, puis pour les développer et les distribuer, il faudrait, selon l’OMS, de l’ordre de 53 milliards de dollars. Ce qui n’est rien, comparé aux montants engagés par ailleurs pour maintenir à flot l’économie mondiale.
Pourtant, cet argent, on ne le trouve pas. Personne ne lance ce projet massif dont tout dépend. Étrange sidération devant les enjeux du réel. On a su le faire pour aller sur la Lune. On est en train de le faire pour aller sur Mars. Et là, alors que toute la vie de la planète en dépend, on ne ferait rien ? On marche sur la tête !
La France, l’Europe, le monde, au lieu de se contenter d’arroser avec des milliers de milliards imaginaires des compagnies au bord de la faillite, ferait mieux de dépenser, en plus, au plus vite, 50 milliards dans des programmes massifs de recherche, pour trouver ces vaccins et ces médicaments. Qui éviteraient justement, s’ils réussissent, la faillite de ces compagnies. Et, il n’y a pas de doute : ces programmes réussiront. Le plus vite serait le mieux.