Au sortir de la crise sanitaire, ce marché sera profondément bouleversé. Former celles et ceux qui vont perdre leur emploi afin qu’ils en retrouvent un autre, mieux qualifié, sera le grand défi post-épidémie.
Quelles seront les conséquences de l’épidémie sur le monde du travail ? Laura Tyson, qui a été la présidente du Conseil des économistes de Bill Clinton et qui enseigne à présent à Berkeley présente, avec Susan Lund de McKinsey, sur le site Project Syndicate, le rapport que ce fameux bureau d’études vient de publier sur l’avenir du travail. Il porte sur huit pays, la Chine, les États-Unis, le Japon, l’Inde, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Espagne. Mais on peut dire que, dans l’ensemble, ce sont en gros les mêmes tendances qu’il annonce.
Car l’idée qui s’en dégage, c’est que la crise économique provoquée par l’épidémie va surtout accélérer le rythme de tendances qui était déjà en cours. Le monde d’après, comme on s’y attendait, ressemblera donc beaucoup à celui d’avant. C’est juste que ce qui était déjà en cours va passer en surmultiplier.
Comment le Covid affecte les marchés du travail
Première observation : les marchés du travail, dans tous nos pays, ont certes été affectés par la crise sanitaire, mais dans des proportions variables. Les deux économistes estiment, par exemple, qu’aux États-Unis, pas loin de douze millions d’emplois ont été perdus. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne et la France, les gouvernements ont mis en place des mécanismes de chômage partiel, afin d’amortir les effets sociaux de la crise. Et le chômage ne s’est pas envolé. Mais les évolutions à attendre seront ralenties, mais non pas empêchées.
Deuxième observation : l’épidémie a frappé particulièrement les emplois requérant un haut niveau de présence physique. Les mesures de distanciation sociale, les fermetures dues au confinement ont affecté en particulier les métiers de la vente, de la restauration, de l’hôtellerie, certains services comme les coiffeurs et coiffeuses. C’étaient, avant la crise, des emplois faiblement rémunérés et l’une des principales conclusions de ce rapport, c’est que les créations d’emplois se feront principalement du côté des métiers mieux payés. Mais, pour ce qui concerne les États-Unis, on observe que ce sont les personnes appartenant aux minorités noires et hispaniques – et en particulier les femmes noires et hispaniques – qui ont payé le plus lourd tribut à la crise du Covid-19.
Troisième tendance de fond : les entreprises ont pris conscience que le télétravail ne nuisait nullement à la productivité de leur personnel qualifié. Le rapport Mc Kinsey estime que 20 à 25 % des salariés devraient désormais pouvoir travailler depuis leur domicile trois à cinq jours par semaine. Cela aura nécessairement des répercussions sur des emplois qui sont liés à l’existence de ces bureaux et des conséquences pour la vie dans les grands centres urbains, notamment aux États-Unis, dont une grande partie était organisée autour de ces quartiers d’affaires. McKinsey estime que les sociétés devraient réduire leurs espaces de bureau d’environ 30 %. Mauvaise nouvelle pour les activités d’entretien et de nettoyage de ces équipements, mais aussi pour la restauration, déjà fâcheusement atteinte par les confinements. McKinsey prévoit aussi un effondrement des voyages d’affaires, alors que c’était devenu l’une des activités les plus lucratives du transport aérien.
Attractivité des pays et des territoires : une hiérarchie bouleversée
Toujours dans le rapport McKinsey sur l’avenir du travail, les deux analystes de ce cabinet d’études Laura Tyson et Susan Lund prévoient également que le télétravail va bouleverser la géographie du travail, en entraînant « une migration à long terme des talents hors des grands centres urbains » vers des villes de taille moyenne où l’immobilier est moins cher. Elles font remarquer que certains pays sont déjà en train de se mettre en situation d’accueillir des entreprises en quête de nouveaux lieux d’installation. La Géorgie et la Grèce proposent aux sociétés des impôts attractifs. L’Estonie, spécialiste européenne du numérique, est aussi sur les rangs pour attirer les start-ups.
Former et qualifier pour relever le défi de la réinvention du travail
Ce qui ressort de la crise, c’est une accélération du côté du numérique. Le commerce en ligne a fait des bonds. Il représente désormais 27 % du total en Chine, 24 % au Royaume-Uni, 20 % aux États-Unis, 14 % en Allemagne, 9 % en France. Autant dire que le commerce de détail va souffrir. D’une manière générale, la montée en puissance de la robotisation et de l’automation va accélérer le recul mondial des emplois non qualifiés, en attendant l’intelligence artificielle… Les métiers qui vont recruter : la santé, l’ingénierie et les technologies. La bonne nouvelle, c’est que ce sont des secteurs qui proposent de bons salaires. Bien meilleurs que ceux dans lesquels végétaient les travailleurs non qualifiés.
Combler l’écart entre le niveau de qualification requis et les emplois disponibles offre l’occasion de réinventer le travail, concluent les deux économistes. Mais il rend plus urgent encore de financer et de mettre en place des programmes efficaces de formation et d’aides aux revenus pour les travailleurs contraints de changer de métier, de secteur d’activité, ou de lieu d’exercice de leur profession.
Laura Tyson et Susan Lund
Qualifier les personnes qui vont perdre leur emploi, afin qu’elles en retrouvent un autre, mieux payé, sera le grand défi post-épidémie.