Les catastrophes se sont succédé à un tel rythme depuis le début du XXIe siècle qu’on essaie désormais de les anticiper. On affronte plus aisément les conséquences d’une épreuve lorsqu’on l’a escomptée. Mais peut-on faire confiance aux futurologues pour prévoir les pires scénarios ?
Les attentats du 11 septembre 2001 ont causé la mort de 3 000 personnes, le tsunami de décembre 2004 celle de 230 000 personnes, la crise des subprimes de 2008 a entraîné des milliers de faillites et de licenciements à travers le monde. Si l’épidémie de COVID-19 a, pour l’instant, tué directement 895 000 personnes à travers le monde, ses conséquences économiques et sociales directes et indirectes sont loin de nous être encore toutes connues. Mais elles se traduiront, à coup sûr, par des faillites en chaîne, du chômage et une récession mondiale.
Les catastrophes se sont succédé à un tel rythme, depuis le début du XXIe siècle, qu’on essaie de les anticiper afin de mieux y faire face. Il ne faut jamais attendre que le ciel nous tombe sur la tête.
Prévoir le pire afin qu’il n’arrive pas.
Jacques Attali
Le magazine Books consacre justement le dossier central de son numéro de rentrée au thème des Risques et à l’anticipation des catastrophes. Et sa rédaction a eu l’idée astucieuse d’ouvrir ce dossier avec un livre paru il y a douze ans, Global Catastrophes and Trends : The Next Fifty Years, dû à Vaclav Smil. Quelles sont donc les catastrophes que cet éminent futurologue tchèco-américain qui lit une quinzaine de langues, prévoyait « pour les 50 prochaines années » en 2008 ? Question sous-jacente : peut-on faire confiance aux futurologues pour anticiper les pires scénarios ?
Apocalypse Now ?
Vaclav Smil définit les catastrophes comme « des événements qui se produisent en l’espace de quelques minutes ou de quelques mois, mais ont des répercussions majeures à l’échelle de la planète, d’un continent ou d’une région entière du monde ». Il peut s’agir de désastres naturels, comme la collision avec la terre d’un astéroïde d’une certaine dimension au mauvais endroit, tel que celui qui a éliminé les dinosaures, il y a 66 millions d’années ; d’une éruption volcanique massive, ou d’un glissement de terrain sous-marin provoquant un nouveau tsunami. Mais Smil, comme beaucoup d’autres, estimait très élevée la probabilité d’une nouvelle épidémie de grippe meurtrière. Et il avait raison.
Sur le plan international, il voyait l’hégémonie américaine « entrer dans une phase crépusculaire » et la Chine monter en puissance. Vous me direz qu’il n’y avait pas besoin de boule de cristal.
Mais il relevait également que l’absence d’un leadership mondial allait provoquer une situation d’instabilité qui, écrivait-il, ressemblerait au monde méditerranéen, après la chute de l’Empire romain : « un morcellement durable et chaotique, préjudiciable au progrès économique ». La prise de conscience des dépendances et des fragilités créées par l’étalement des chaînes de valeur est peut-être en train de provoquer une telle fragmentation.
Books s’amuse aussi à confronter certaines prédictions apocalyptiques récentes avec la réalité. Le cas le plus emblématique est sans doute celui du fameux « pic pétrolier » ou niveau maximal de l’exploitation pétrolière, avant que la baisse des réserves se traduise par baisse de la production. Le géophysicien King Hubbert, en 1956, l’avait situé en 1970. Depuis, la date du fameux pic n’a cessé d’être reportée. Il est probable – et souhaitable – que l’humanité se soit tournée vers d’autres sources d’énergie avant que le pic n’ait été atteint.
Quand le plus célèbre des prospectivistes revient sur ses prédictions
Nouriel Roubini est l’inventeur des fameux « cygnes noirs », ces fameux événements improbables et pourtant porteurs de terribles conséquences. Sur le site Project Syndicate, il fait le point sur les « cygnes blancs » — événements probables, eux, tels qu’il les avait exposés au début de cette année.
Il avait prédit que l’épidémie de Wuhan se répandrait dans le monde entier. Il avait raison.
Il prévoyait une escalade militaire entre Washington et Téhéran. Il avait tort, mais se justifie ainsi :
Les Iraniens jouent la carte de l’apaisement dans l’espoir que Trump soit battu et que Joe Biden rejoigne l’accord sur le nucléaire.
Nouriel Roubini
Mais il avertit que les tensions en mer de Chine orientale et méridionale pourraient fort bien en affrontements armés entre la Chine et les Etats-Unis.
Roubini avait averti que le cyber-espace serait, de son côté le nouveau terrain d’affrontement entre les puissances. Il pense que, comme en 2016, les puissances révisionnistes qui défient les États-Unis, Chine, Russie, Iran et Corée du Nord interfèrent dans la campagne électorale américaine pour « aggraver les divisions partisanes ». Le pays est en proie à une polarisation qui pourrait tourner à « l’agitation civile », en particulier si le résultat s’annonce serré.
Enfin les risques environnementaux sont de plus en plus préoccupants : la désertification de l’Afrique de l’Est a créé les conditions d’une invasion de sauterelles qui détruisent les cultures. La fonte du permafrost, en Sibérie, va non seulement aggraver la pollution, mais faire resurgir de dangereux virus, emprisonnés dans les glaces depuis des millénaires.
Crédits : France Culture