Le XXIe siècle sera-t-il celui de la régression démocratique ?

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© Can Stock Photo / kawing921

En 1974, la chute de la dictature de Salazar ouvrait une nouvelle période historique : la « troisième vague démocratique ». Depuis le début du XXIe siècle, on voit la démocratie reculer et un nouveau cycle s’ouvrir, celui d’un populisme de droite. Sa méthode ? Resserrer progressivement l’étreinte...

Entre la Révolution des œillets portugaise du 25 avril 1974 et la fin du XXe siècle, on a vu tomber une à une les dictatures. Comme les feuilles aux arbres en automne. Un spectacle réjouissant et encourageant. Au point d’alimenter, à l’époque, une certaine euphorie. 

Quelle que soit leur culture, quelle que soit l’ère de civilisation à laquelle ils appartiennent, disait-on, les gens préfèrent la liberté d’expression parce qu’elle leur permet d’exprimer ce qui ne va pas et donc de corriger les erreurs. Les peuples veulent pouvoir demander des comptes à leurs dirigeants et les révoquer lorsqu’ils les jugent incapables. La démocratie libérale, déconnectée de la religion, ouverte sur le monde, enrichit les nations qui l’ont choisie. Bientôt, le monde entier serait converti à ce système de gouvernement et de production des richesses parce qu’il avait fait ses preuves. 

Après avoir vaincu le fascisme sur le terrain même qu’il avait choisi, celui des armes, les démocraties occidentales s’étaient réjouies d’assister à l’implosion de l’autre grand défi, celui du communisme. Celui-ci avait promis le développement accéléré et l’égalité au détriment des libertés publiques. Or, s’il avait bel et bien engendré le despotisme, cela avait été au prix de la gabegie économique, de la dévastation de l’environnement, et en créant des sociétés encore plus inégalitaires, dans les faits, que le capitalisme libéral. Avec la sortie du communisme de toute l’Europe centrale, en 1989, la messe semblait dite. 

« Democratic rollback », la régression démocratique du XXIe siècle

Pourtant, les deux premières décennies du XXIe siècle ont apporté un cruel démenti à cet optimisme. C’est un fait. Du nord au Sud et d’est en ouest, la démocratie recule. Certes, entre le standard ultra-despotique de la Corée du Nord et les modèles de démocratie que sont la Norvège, ou la Nouvelle-Zélande, il existe toute une gamme de régimes. Larry Diamond, politologue américain et l’un des animateurs de la revue Journal of Democracy, a été l’un des premiers à alerter l’opinion sur ce qu’il a nommé, dans un article, publié dans Foreign Affairs en 2008 et demeuré fameux, The Democratic Rollback. La régression de la démocratie.

Diamond a identifié six catégories de régimes, en les classant du plus libéral au plus autoritaire. Démocratie libérale, démocratie seulement électorale, régime mixte ambigu, régime autoritaire, mais pluraliste, régime autoritaire à parti hégémonique, régime autoritaire fermé sur le monde. Et, pour lui, la régression est une tendance générale. 

Certes, on n’est plus à l’époque des coups d’État militaire, lorsque des démocraties parlementaires constitutionnelles étaient renversées, pour être remplacées, du jour au lendemain, par des dictatures sanglantes. La régression se fait en douceur, par petites étapes, si discrètes qu’elles passent inaperçues. 

Ece Temelkuran, l’une des plus célèbres journalistes turques, a publié un livre essentiel pour comprendre comment un autocrate étrangle très progressivement une démocratie. Titre : Comment conduire un pays à sa perte ? Sous-titre : Du populisme à la dictature. Il était paru, l’an dernier chez Stock. Il paraît cette semaine en poche, chez Folio. 

La manière dont Erdogan a mis au pas la société turque, depuis la création de son mouvement, AKP, en 2001, jusqu’au pseudo-coup d’État du 15 juillet 2016 peut être considéré comme un modèle du genre, un véritable cas d’école. Nous avons intérêt à l’étudier de près afin de nous prémunir d’un risque de dépérissement démocratique dont nous voyons bien aujourd’hui qu’il menace tous nos pays. C’est ce que suggère en permanence Temelkuran, en établissant de nombreux parallèles avec la Hongrie de Orban, le Brésil de Bolsonaro, les États-Unis de Trump et le Brexit.

« La tentation autocratique », thème du « dernier » numéro du magazine Books

Son livre est bien plus intéressant que celui d’une simple politologue. L’auteure est non seulement l’une des éditorialistes les plus justement célèbres de son pays, mais une conférencière et écrivain connue dans le monde entier. Comment conduire un pays à sa perte est parsemé de récits de rencontres, de témoignages personnels, de faits vrais pris sur le vif. Menacée de prison, son auteure a dû s’exiler. A Zagreb, en Croatie.

Les étapes qu’elle repère dans la construction, par Erdogan, de son pouvoir autocratique sont au nombre de sept. Et je compte les résumer au cours de mes chroniques de cette semaine. En complétant cette leçon de résistance démocratique grâce au numéro du magazine Books qui vient de paraître, avec pour thème central, un dossier intitulé La tentation autocratique. Ruez-vous sur cette publication, son directeur, Olivier Postel-Vinet annonçant dans son édito que c’est probablement le dernier numéro de cette revue sans équivalent dans la presse française.

Mais commençons par le premier précepte contenu dans « Comment conduire un pays à sa perte » : d’abord créer un mouvement. Pas un parti : un mouvement. Ses militants apparaissent comme les membres d’une secte. Ils se présentent comme des purificateurs, dotés d’une moralité supérieure, les nettoyeurs des écuries d’Augias de la politique politicienne. « Assécher le marais de Washington », comme dit Trump. La suite, demain…


Crédits : France Culture

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