Le 23 janvier dernier avait lieu la 4è édition de la journée des solitudes dont Astrée est à l’origine. L’occasion pour cette association, qui a fait de la lutte contre ce fléau des temps modernes son cheval de bataille, de lancer des messages d’alerte et de mobilisation.
« Pour avoir si souvent dormi avec ma solitude ; je m’en suis fait presque une amie ; une douce habitude… », chantait Serge Reggiani à la fin des années 60. A l’époque, seuls 6 % des Français vivent seuls et la solitude n’est pas un sujet. Elle va le devenir. La faute à l’individualisation de la société, à l’urbanisation, à une évolution de la vie de famille… Les causes sont nombreuses. Les conséquences aussi. Car si certains choisissent la solitude, beaucoup la subissent, sans oser en parler. Et c’est bien là que l’association Astrée, créée en 1987, intervient. « Le constat à l’époque, c’est que les personnes souffrant de solitude sont en déficit d’écoute et qu’elles manquent de relation de qualité. Nous intervenons pour les aider à renouer du lien », explique Djelloul Belbachir, délégué général de l’association.
650 bénévoles, répartis dans 21 antennes sur l’ensemble du territoire, accompagnent les personnes demandeuses (au nombre de 2000 par an) en présentiel ou plus récemment à distance à raison de deux heures par semaine. Des bénévoles, sélectionnés et préalablement formés. Anne-Marion de Cayeux est l’une d’elles. « C’était important pour moi de m’investir dans une action sociale et utile. La capacité d’écoute, je la pratique dans mon métier, j’avais envie de la déployer dans un cadre associatif », confie cette avocate en droit de la famille et médiatrice en matière familiale. Elle ajoute : « Notre écoute n’est pas thérapeutique, c’est plus du don d’humain à humain. Un don cadré, car notre posture de neutralité est claire : nous ne sommes pas dans la complaisance ni dans le conseil. Nous sommes là pour que la personne retrouve confiance dans ses propres capacités ». Un accompagnement temporaire pour ne pas non plus générer de la dépendance.
Sylvie Niollet a fait appel à ce qu’elle nomme une « écoute bienveillante et constructive » durant huit mois. Bien que vivant avec trois autres personnes, elle en éprouve le besoin au moment du premier confinement. « Je ressentais un isolement social et je n’avais personne à qui parler de mes difficultés, d’ordre familial notamment. C’est tout naturellement que je me suis tournée vers Astrée », relate-t-elle. Une action couronnée de succès, car aujourd’hui Sylvie voit arriver sereinement la fin de ses échanges avec son écoutante. « J’avais beaucoup de colère en moi qui monopolisait toute mon énergie et me bloquait pour avancer. Avoir un espace pour poser une parole de façon libre sans craindre le jugement, c’est ce qui m’a fait progresser », assure Sylvie.
Le mal qui ne dit pas son nom
Avouer que l’on souffre de solitude, c’est l’un des enjeux de l’association Astrée. Car, selon son délégué général, trois quarts des personnes touchées n’osent pas en parler. Un sujet d’autant plus tabou chez les jeunes actifs. Or, si l’image d’Épinal veut que ce soit les personnes âgées qui en souffrent le plus, les enquêtes montrent tout l’inverse. Selon celle de Ifop, réalisée en décembre 2020, sur les Français et la solitude, 27% des moins de 25 ans se sentent concernés par ce ressenti, contre 16% pour les plus de 75 ans. À noter encore que seulement un tiers des Français isolés (une personne est considérée comme isolée quand elle a moins d’un contact par semaine avec un membre de sa famille, un ami, un collègue ou un voisin) indiquent se sentir toujours ou souvent seuls, sentiment de solitude et fréquence des relations sociales ne se confondent donc pas totalement. « C’est d’autant plus difficile d’en parler quand on ne correspond pas aux stéréotypes. Or, il n’y a pas de honte, il faut oser se confier » , affirme Djelloul Belbachir.
La solitude touche donc tous les âges et tous les milieux sociaux… mais, depuis la crise sanitaire, le phénomène s’est largement amplifié, drainant un accroissement de l’anxiété et du mal-être. Astrée, par exemple, croule sous les demandes. Une conjoncture particulière qui ne doit pas faire oublier une problématique propre à nos sociétés et à leur évolution. « Aujourd’hui, 20 % des Français vivent seuls. Or, partager sa vie avec d’autres personnes, c’est un facteur de protection » , déclare Djelloul Belbachir. Une protection que nous pouvons toutes et tous offrir aux personnes qui nous entourent, c’est le message diffusé par l’association à l’occasion de la 4è journée des solitudes, le 23 janvier dernier, dont elle est à l’origine. En temps normal, celle-ci donne lieu à des évènements divers et variés, des débats et des rencontres entre experts et bénévoles. Covid-19 oblige, Astrée a décidé cette année de déployer une campagne digitale avec deux vidéos aux messages très clairs : « On a plus conscience de cette problématique aujourd’hui. Maintenant, il faut passer de la conscience à l’action » , s’exclame Djelloul Belbachir. Objectif : favoriser la mobilisation citoyenne sur cette question. Une démarche qui nécessite surtout, selon l’association, d’être plus attentif aux autres.
Quelques chiffres
À l’occasion de la journée des solitudes, Astrée a commandé une enquête sur les Français et la solitude, réalisée par IFOP en décembre 2020. En voici les principaux enseignements :
— Près d’un Français sur cinq se déclare toujours ou souvent confronté à la solitude, soit une hausse de 5 points par rapport à 2018.
— Deux tiers d’entre eux indiquent souffrir du manque de la compagnie des autres, 15 points de plus qu’en 2018.
— Les personnes souffrant de solitude ont moins pu compter sur le soutien de leur famille qu’avant la crise sanitaire (34 % contre 43 % en novembre 2018).
— Les jeunes, les célibataires et les publics les plus fragilisés économiquement sont les plus touchés par la solitude.