Elle s’est lancée alors que l’écologie ne figurait pas parmi les sujets « bankables ». Elle a aujourd’hui gagné ce pari et voit plus loin : la maison d’édition marseillaise Wildproject a depuis fin 2020 pignon sur rue, avec un lieu dédié à la découverte de son catalogue et à la conduite d’ateliers. Suite logique pour celle qui entend désormais passer à la mise en œuvre des textes fondateurs qu’elle publie.
Elle se consacrait jusqu’ici exclusivement à son cœur de métier et quoi de plus naturel en somme, elle veut aujourd’hui passer à l’action. C’est en effet la nouvelle ambition de Wildproject, maison d’édition marseillaise fondée en 2009 par Baptiste Lanaspèze et focalisée sur une ligne éditoriale bien spécifique, puisqu’il s’agit de rassembler les livres fondateurs de la pensée écologiste. Un véritable pari à une époque, pas si lointaine, où le souci de l’environnement ne figurait pas parmi les sujets « bankables ». Et pourtant…
« L’idée clé de la ligne éditoriale a découlé d’une intuition, le sentiment qu’il y avait une étincelle philosophique en rapport avec l’écologie, témoigne Baptiste Lanaspèze. C’était ténu pour créer une entreprise, mais j’avais le sentiment d’une nouvelle voie fondatrice, comme auparavant l’existentialisme avec Sartre ou la sociologie avec Bourdieu. Il me semblait qu’au début des années 2000, un nouveau changement de paradigme s’amorçait dans la façon de remettre la question de la nature sur la table, que c’était de nature à bouleverser la philosophie et à augurer d’une nouvelle ère révolutionnaire. » Cette reprise en main par les philosophes figure ainsi comme la colonne vertébrale de Wildproject.
Comité scientifique
Ainsi cette « toute petite entreprise de quatre collaborateurs, générant quelque 200 k€ de chiffre d’affaires par an », se pose-t-elle dans le monde de l’édition avec « une proposition grandiose ». Ce en se fiant par ailleurs aux avis d’un comité scientifique réuni sous son égide. « Il a vu le jour à la création de la maison, avec un rôle politique et tactique : lorsque vous n’êtes pas dans les grands courants de pensée du moment, la France vous tourne le dos. Or, je ne voulais pas prendre le risque de voir échouer mon entreprise dès les prémices et de subir une espèce d’embargo de la part des mondes intellectuels. Je ressentais ce besoin de légitimité, c’est ce qu’apportent les scientifiques reconnus qui ont intégré ce comité au rôle consultatif. »
Toutefois, la mode va peu à peu rattraper la pensée écologiste et Wildproject sera rejointe, dès 2015, par de grandes maisons d’édition. Elles ont pour nom Le Seuil, Acte Sud, et réalisent à leur tour l’intérêt de la question écologique. « Nous avons imaginé être submergés, pris de vitesse par la vague de ces grosses structures et au final, bien au contraire, ça a été le début d’une explosion de notre chiffre d’affaires. » La niche d’hier devient donc le sujet prisé d’aujourd’hui, au point que l’équipe de Wildproject ne parvient plus à effectuer une veille complète des parutions en la matière. D’où l’idée d’un ouvrage réalisé par ses soins, nommé « Un sol commun » et croisant les regards d’une vingtaine de personnalités de l’écologie. Ce travail trouvera un nouvel écho cette année, avec la conduite d’un projet connexe pour le compte du Centre des politiques de la terre. « Il s’agit d’une étude sur la recherche et l’enseignement de l’écologie en France, un état des lieux de tous les acteurs dans ce domaine pour raconter cette décennie d’effervescence intellectuelle. Elle va donner lieu à une cartographie sous forme de data vizualisation et permettra de déterminer comment enseigner l’écologie. »
Faire écho aux luttes
Aujourd’hui, Wildproject, c’est un catalogue de 80 références et cinq collections. « Mais nous ne voulons pas entrer dans une surenchère de sorties. » Rythme de croisière donc, avec 10 à 12 livres publiés chaque année, et la proposition d’un ouvrage par jour en moyenne, « ce qui est énorme à gérer à notre échelle. Nous avons la chance d’être inondés de bons manuscrits. » Alors, comment sélectionner les élus ? « Nous nous demandons surtout si ce sont des livres indispensables ou non à notre collection. Nous réalisons toujours deux à trois traductions d’ouvrages étrangers. Nous suivons ensuite nos auteurs fidèles. Puis nous avons parfois de bonnes surprises par mail… Aujourd’hui toutefois, notre volonté c’est surtout d’accompagner les luttes militantes. »
L’ensemble de ce catalogue est diffusé par Belles Lettres, « maison de taille moyenne. Nous travaillons beaucoup avec les librairies indépendantes, qui sont nos partenaires naturels. » Wildproject se trouve par ailleurs au seuil d’une démarche de distribution dans des lieux plus alternatifs.
Showroom sur la ville
Et puis, en parlant de lieu, il y a désormais ce point de chute, situé en plein centre-ville de la cité phocéenne, ouvert voilà six mois. « Nous voulions d’un espace type showroom où le lecteur découvre l’intégralité de notre catalogue. » Envie de se raconter donc, de renouer avec la tradition d’autrefois, où « imprimerie, librairie et édition s’articulaient au sein du même lieu. Sans vouloir remonter deux cents ans en arrière, il y a cette volonté de décloisonner les cœurs de métier. » Mais aussi d’accueillir des groupes, scolaires et universitaires notamment, ainsi que des acteurs de mouvements militants lors d’ateliers ou de rencontres thématiques. Pour l’heure, le Covid joue les trouble-fête dans cette dernière ambition, mais à tout le moins, le showroom de Wildproject attire le chaland. Une prise directe enrichissante, aux dires de Baptiste Lanaspèze. « Ça change la posture de l’éditeur, on se rend disponible. Et immanquablement, ça bouleverse les lignes. Par exemple on touche du doigt nos manques : nous avons peu de livres de découverte, en entrée de gamme. Ou aucun ouvrage sur le véganisme, alors qu’un visiteur nous en a formulé la demande… »
Plus encore, ce lieu ressources marque une étape supplémentaire dans le désir de la maison à passer à l’action. « Nous avons construit un catalogue complet. L’idée aujourd’hui c’est de mettre en œuvre ces pensées-là. On le doit aux jeunes générations, qui le réclament. Alors, on ne va pas leur répondre en mettant seulement des ouvrages sur la table. » Il y avait eu déjà plus que des soubresauts, avec la création des sentiers métropolitains. Soit des itinéraires explorant « les relations ville-nature et centre-périphérie, pour inventer la ville écologique de demain ». L’agence éponyme, créée en 2014, conseille les collectivités désirant en aménager un et à ce jour, elle en compte douze dans le monde, donc trois en PACA (Marseille, Avignon, Toulon) et deux autres en France, à Paris et Bordeaux.
Ecologiser le livre
Enfin, Wildproject s’est lancé dans une démarche à même de repenser la façon d’exercer son cœur de métier de façon vertueuse. Dans cette optique, elle a fondé l’Association pour l’écologie du livre, ceci en considérant l’intégralité de son écosystème. « Cette impulsion est celle de Marin Schaffner, l’un de nous quatre. Il avait pris auparavant en charge la conception du livre Un sol commun, lancé notre collection poche… Il a la culture de l’action. » L’idée de départ entre vite dans le concret avec une cinquantaine d’acteurs mis sur la table, issus de tous les métiers de l’édition. Les premières réflexions s’impulsent, elles se matérialisent par un ouvrage nommé « Le Livre est-il écologique ? ». La dynamique d’étude se poursuit aujourd’hui via ateliers de sensibilisation et d’écriture, formation au rayon écologie pour libraires et bibliothécaires, rencontres… mais aussi groupes de travail par sujets, telle par exemple la gestion des retours. Et si Rome ne s’est pas faite en un jour, les premiers pas s’esquissent pour avancer vers cet objectif au long cours : rendre la filière du livre exemplaire.