Géraldine Lemoine, sociologue et consultante et Gilles Teneau, universitaire spécialiste de la résilience organisationnelle et des ressources rares en entreprises, livrent le portrait de ces personnes indispensables dans les organisations.
Depuis des années, les médias nous « bassinent » avec les pervers narcissiques, ces personnalités quasi-démoniaques qui déstabilisent l’entreprise et nuisent aux personnes. Le livre de Géraldine Lemoine et Gilles Teneau prennent pour objet d’étude[1] une figure diamétralement opposée à celle du pervers narcissique : celle du toxic handlers. En français, nous pouvons les appeler « générateurs de bienveillance ». Le terme regroupe ces personnes douées d’empathie qui accueillent la souffrance de leur entourage et leur permettent de la dépasser. Il y a dix ans, on ne parlait que de prévention des risques psychosociaux. Aujourd’hui, ce problème est pris en amont. Plutôt que de s’attacher à gérer la souffrance, à traiter les conséquences d’un management parfois dément, on s’évertue aujourd’hui à construire un cadre de travail propice au bien-être. Si le management n’a pas à s’occuper du bonheur des salariés, il doit néanmoins promouvoir la qualité de vie au travail. Si chaque organisation s’attache à atteindre cet objectif, alors cette démarche doit commencer par mettre en évidence ces fameux toxic handlers.
Aider à la résilience individuelle et organisationnelle
Mais quelles sont leurs caractéristiques essentielles ? Comment les identifier ? Les auteurs s’attachent d’abord à en donner une définition précise. « Auditeur compatissant, un générateur de bienveillance idéal a la capacité inconditionnelle de se représenter et de comprendre la souffrance d’autrui. » Il ne porte pas de jugement, c’est un confident, jouant parfois le rôle de tampon entre les différentes parties prenantes impliquées dans un problème. C’est quelqu’un qui a déjà vécu des situations difficiles et qui de ce fait développe une attitude de douceur dans ses relations avec les autres. Cela lui permet d’approcher et de gagner la confiance de ceux qui souffrent. Il pratique l’écoute active, basée sur la reformulation des propos de la personne accompagnée et dans l’idéal sait s’investir pour lui-même dans des techniques de développement personnel. Un générateur de bienveillance sait s’engager dans l’action non pas pour développer son pouvoir propre, mais aider son prochain. Il contribue ainsi à la résilience individuelle, mais aussi organisationnelle (dans le cas d’une crise au sein de l’organisation).
Après avoir dessiné ce portrait-robot, Géraldine Lemoine et Gilles Teneau s’attachent à dénombrer les différents types de générateurs de bienveillance. Il y a d’abord le porteur de confiance, sympathique, crédible (on le considère comme sincère, intègre, cohérent, honnête). Puis le porteur de souffrance, empathique. On les retrouve spécialement dans les secteurs médical et social, en contact direct avec la souffrance. Enfin, il y a le porteur de compassion, déterminé par le désir réel et durable de tout faire pour alléger les souffrances d’autrui et qui fait preuve de « pleine conscience ». « Rappelons-le, pour nous, un générateur de bienveillance est une personne capable en entreprise de prendre sur elle la souffrance de ses collègues et qui possède des caractéristiques particulières dont les principales sont la sympathie (formulation projective de soi, mode de rencontre avec autrui), l’empathie (pratique relationnelle, reformulation, compréhension, sentiment ou émotion implicite) et la compassion (ressenti de la souffrance d’autrui et action pour y remédier). » S’il est ainsi, le générateur de bienveillance le doit tout autant à ses qualités innées que par son parcours de vie personnel (l’acquis).
Porteurs de la valeur « épanouissement » en entreprise
Les auteurs évoquent le travail de recherche de Norbert Alter, professeur à l’université de Paris Dauphine, sur les forces du patron qui met l’empathie au cœur de ses rapports avec les autres : « épouser la logique de l’autre et savoir se mettre à sa place, mobiliser les personnes plus que les personnages, faire passer l’autre d’une position de rôle à une position de sujet, concilier décision et échange avec une véritable attention à l’autre, accepter et encourager les espaces de parole, négocier pour parvenir à un accord tout en bénéficiant de la coopération ultérieure de l’autre, créer des liens, donner, recevoir, rendre, avoir du plaisir dans la relation et exprimer ses propres émotions, avoir du goût pour le récit, la précision du langage et les finesses d’expressions, être des passeurs et avoir la volonté de faire partager. » A partir de ce constat, Géraldine Lemoine et Gilles Teneau s’attachent à définir le leadership des générateurs de bienveillance, porteurs de la valeur « épanouissement » en entreprise. Ils détaillent sept styles de managers différents, répartis dans les trois catégories de générateurs de bienveillance définies plus haut (porteurs de confiance, de souffrance et de compassion).
Bonne première approche
La suite de l’ouvrage va s’attacher à recenser les outils et méthodes permettant d’acquérir les compétences nécessaires pour devenir générateur de bienveillance. Les principes de nombreuses théories de développement personnel sont alors successivement exposés. Un catalogue destiné à donner des pistes inspirantes, à guider son processus d’apprentissage qui permettra de développer son altruisme. L’important y côtoie l’accessoire. Au final, l’ouvrage de Géraldine Lemoine et Gilles Teneau constitue une bonne première approche pour qui souhaite s’engager dans les métiers de la relation d’aide en entreprise. Il propose un spectre large dans lequel le lecteur est invité à « faire son marché » et à approfondir ses connaissances.
[1] Géraldine Lemoine et Gille Teneau, Toxic handlers, Les générateurs de bienveillance en entreprise, Odile Jacob, 2019.