Quels challenges pour Le République, restaurant solidaire 100 % inclusif ?

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Le chef étoilé Sébastien Richard et le dirigeant engagé Sylvain Martin ont souhaité pousser au maximum la dimension dignité et inclusion de leur restaurant solidaire – Crédit photo : Solène Loustalan Photographie

Il ouvrira ses portes au plus tard en novembre et proposera dans ses murs une addition à un euro aux bénéficiaires qui le fréquenteront pour 50 %, les autres convives étant des clients dits classiques. Ce lieu, c’est Le République, un restaurant solidaire marseillais qui entreprend de lutter contre la pauvreté et l’exclusion à sa manière. Pour autant, quel modèle économique assurera sa pérennité ?

Permettre à chacun de manger à sa faim. C’est toute l’essence d’un projet marseillais nommé Le République, du nom de cette emblématique avenue Hausmannienne menant au port de la Joliette et né de deux volontés : celle du chef étoilé Sébastien Richard et du dirigeant engagé Sylvain Martin. S’il existe déjà des restaurants solidaires au cœur de l’Hexagone, celui qui naîtra, en novembre prochain, au sein de la cité phocéenne revendique un parti pris novateur. A savoir, une dimension 100 % inclusive qui représente à elle seule un véritable enjeu. Puisque bénéficiaires payant l’addition symbolique d’un euro (ils seront désignés par des organismes partenaires tels la Croix Rouge ou le SAMU social et devront se présenter dans des conditions d’hygiène normale. Le cas échéant, des plats à emporter leur seront proposés) et clients classiques se mélangeront au sein de la même salle. Soit 50 % des uns, 50 % des autres… mais zéro discrimination. « L’idée, c’est de rassembler et de redonner la dignité. Tout est conçu pour qu’il n’y ait pas de différence dans l’accueil, le service, la nourriture, la boisson. Personne, sauf un ou deux managers dans la salle, ne saura qui est bénéficiaire pour éviter tout marquage ou repérage », explique Sébastien Richard.

Le déclic ? Il est venu déjà du premier confinement, synonyme d’élans de solidarité, ici comme ailleurs. « J’ai cuisiné pendant cette période par le biais de l’association GourMéditerranée, dont j’étais le vice-président. Et nous avons délivré 45 000 repas en l’espace de ces deux mois. Nous avons réalisé la difficulté éprouvée par certains pour se nourrir, le fait que de nombreuses personnes ne vont jamais au restaurant. Et puis, à Marseille, spécifiquement dans les quartiers Nord, beaucoup n’ont qu’un seul endroit pour se réunir en famille, le fast food. Or pour moi la cuisine c’est un patrimoine, j’ai envie de faire perdurer ça ». Boosté également par sa mère, disparue l’année dernière et très investie depuis toujours auprès des démunis, le chef étoilé a souhaité prendre son relais à travers cette action. Il sera rapidement rejoint dans cette aventure par Sylvain Martin, cofondateur d’une association nommée Collectif solidaire, et rencontré lors du premier confinement.

Quel modèle économique ?

Ainsi les volontés sont là, les énergies aussi. « Il faut maintenant faire en sorte que tout le monde comprenne notre projet aujourd’hui ». Et y adhère, notamment en faisant partie des clients classiques. Le modèle économique, complexe, en dépend. Et c’est un véritable challenge. « Plusieurs segments seront mis en place pour que Le République parvienne à trouver l’équilibre. Notamment une partie événementielle pour particuliers et entreprises avec des parrains qui viendront nous aider, et une partie traiteur ». Le lieu, emblématique, puisqu’il s’agit de l’ancien Café Parisien, s’y prête. « Pour ces deux derniers segments, nous serons sur une tarification plutôt normale. Nous comptons là-dessus pour payer les salaires, ceux de nos collaborateurs au sein du restaurant ». Les trois quarts de la vingtaine d’emplois créés, soit ceux dédiés à la salle et à la cuisine seront des contrats d’insertion. L’encadrement quant à lui est géré par une équipe de direction salariée en contrat classique. « En revanche, les acteurs comme Sylvain et moi, vice-président et président de l’association La Petite Lili, association qui porte ce projet de restaurant, seront bénévoles. Nous y tenons fortement ». Ainsi le modèle économique qui se dessine est pour l’heure à trois détentes. « Tout ce qui peut générer du flux sera envisagé, en tenant compte bien sûr de la capacité du lieu. Mais en gardant l’objectif de départ : un restaurant. Ainsi l’équilibre est complexe, mais réalisable, car nous n’avons pas de mise de fonds. Nous avons négocié un loyer modéré avec le bailleur Primonial, un de nos premiers soutiens depuis la remise des clés ». Le modèle économique passe donc aussi par la rationalisation des coûts, poursuit Sébastien Richard. « Nous allons nous positionner sur le modèle du bouillon parisien. La cuisine est pensée de façon à réaliser un service plutôt rapide, on pose les entrées, les desserts, le client choisit juste le plat. Nous allons créer un système de self pour les serveurs, de façon à ce qu’ils puissent venir récupérer les commandes sans réclamer ». L’équipe vise donc la fluidité, d’autant que la capacité d’accueil est importante : 300 places assises, intérieur et extérieur compris. « La Ville nous aide, elle va nous permettre de récupérer des places en terrasse aux alentours. Ainsi l’idée, c’est d’atteindre les 500 couverts jour ».

Outre ces activités propres à générer des revenus, les deux porteurs du projet envisagent d’autres actions, ici pour distiller plus encore dans la ville cet élan en faveur des plus démunis : épicerie et supermarché solidaire, celui-ci géré par Collectif solidaire, compétent en la matière, mise en place d’un food truck… Le République proposera enfin aux associations qui vibrent au même diapason d’élire domicile au sein de bureaux partagés, puisque le site dispose aussi de 200 m2 de locaux à rénover.

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L’emblématique Café Parisien deviendra bientôt Le République, sous l’impulsion architecturale de Rudy Ricciotti.- Crédit photo : Solène Loustalan Photographie

Des soutiens tous azimuts

Outre la municipalité, les collectivités locales dans leur ensemble « veulent voir émerger ce projet », assure Sébastien Richard. Des demandes de subvention ont été déposées, mais seule pour l’heure celle de l’Etat, relative à la lutte contre la pauvreté, a été obtenue. Il en faudra sans doute davantage dans un projet où « les travaux seront pris en charge grâce au mécénat, aux dons et aux subventions ». Le binôme est par ailleurs assuré du soutien des acteurs locaux. « On a la chance d’avoir un réseau important de chefs de cuisine qui nous aident. Même chose avec le monde associatif, les personnalités de la culture ou du sport… » Et puis, il y a enfin le concours de l’architecte Rudy Ricciotti, connu pour sa conception du Mucem, qui dessine les lieux et assurera la maîtrise d’œuvre gratuitement. « Quand je lui ai évoqué le projet, il ne m’a pas dit oui tout de suite, mais il ne m’a pas dit non. Puis après réflexion et présentation du dossier, il m’a assuré de son soutien. En ce moment nous consultons les entreprises, les travaux devraient démarrer à la mi-juin ».

Locavore et anti-gaspillage

Et donc, selon les projections de l’architecte, Le République devrait ouvrir ses portes un peu avant l’hiver. Il proposera une cuisine méditerranéenne qui rimera par ailleurs avec respect de l’environnement : elle sera 100 % locavore, tout d’abord. « Tout ce qui rentre dans la composition des plats est issu du terroir des Bouches-du-Rhône, c’est notre cahier des charges. Nous ne devrions pas trop connaître de difficultés pour nous approvisionner. Côté végétaux, les fermes ne manquent pas. Ni la viande, puisque les éleveurs sont présents également sur le territoire. Le poisson, je n’en parle même pas. Il faudra juste se creuser la tête sur des produits plus délicats, comme le beurre ou la crème, mais nous trouverons des solutions ». Outre l’aspect circuit court, l’activité du République se revendiquera également anti-gaspi. « Il n’y aura pas de perte puisque tout invendu sera automatiquement remis en boîte et redonné aux maraudes. Ce dans des emballages vertueux, donc sans plastique. J’ai déjà trouvé une société qui nous fournit les boîtes en carton et couverts en bois ». Une chaîne de valeur totalement respectueuse, c’est aussi cette cohérence-là que le binôme recherche. « Il faut que la globalité du projet soit pensée de la même façon, du début jusqu’à la fin », conclut Sébastien Richard.

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