Loi PACTE : « réconcilier les notions de société et d’entreprise » (1/3)

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Crédit : Sergio Souza – Pexels

Jacques Mercier a fondé Entropy Consulting, une agence de conseil en performance économique. Son métier consiste à aider les organisations à améliorer leur performance financière et commerciale en intégrant les problématiques liées au changement climatique. Il décrypte pour nous les avancées de la loi « PACTE ».

Quelles sont les principales conséquences de l’adoption de la loi « PACTE » ?

Jacques Mercier : L’article 169 de la loi « PACTE » a une portée importante sur la formation des sociétés en France en introduisant plusieurs nouvelles notions en modifiant le Code civil. Tout d’abord, en modifiant l’article 1833 du Code civil, il est entériné qu’une société n’est plus seulement fondée dans l’intérêt commun des associés, mais ajoute une responsabilité de la société vis-à-vis des enjeux sociaux et environnementaux. Cette évolution du Code civil entérine le concept « d’entreprise élargie » dans la loi. Ensuite, cet article offre la possibilité aux entreprises de se doter d’une raison d’être dans ses statuts voir se constituer en « entreprise à mission » (cette dernière notion ne sera pas développée dans cette note). La loi confirme l’engagement des sociétés lorsqu’elles se munissent d’une raison d’être en précisant qu’elles doivent affecter des moyens dans la réalisation de sa raison d’être. Enfin, l’article 169 de la loi PACTE modifie les articles 225-35 et 225-64 du code du commerce en responsabilisant les organes de gouvernance des sociétés (conseil d’administration et directoire) par rapport aux enjeux environnementaux, sociaux ainsi que vis-à-vis de la raison d’être de l’entreprise. Les organes de gouvernance des entreprises doivent dorénavant « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité » de la société et également « prendre en considération, s’il y a lieu, la raison d’être de la société ». Cet article de la loi « PACTE » permet donc de rapprocher les sociétés qui ont une existence légale définie dans le Code civil avec l’entreprise qui n’est pas une notion définie dans le droit français. Ces évolutions offrent différentes opportunités pour les entreprises au regard de cette évolution réglementaire.

La notion d’entreprise n’existe pas dans le droit français. Quel est le risque de cette absence de définition ?

Jacques Mercier : Il n’existe pas en France de définition légale de la notion d’entreprise. Le Code civil définit la société. Jusqu’à la promulgation de la loi « PACTE », la définition de la société se cantonnait à la définition de l’article 1832 : « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourrait en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne ». Cette définition était complétée par l’article 1833 précisant le but d’une société : « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». La loi « PACTE » a modifié l’article 1833 du Code civil en spécifiant : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cette précision permet donc de rapprocher la définition légale de la société avec l’entreprise et son activité qu’elle porte légalement. Ce rapprochement nous amène donc à interroger la notion d’entreprise et à en chercher une définition. Cette absence de définition peut entraîner des confusions, des incompréhensions lorsque le sujet des entreprises dans son ensemble est abordé. Enfin, cette absence de définition, ou tout du moins de consensus sur l’objet de l’entreprise peut entraîner des différences d’appréciations très fortes notamment de la part des administrations.

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Jacques Mercier

Quelles sont les différentes définitions de l’entreprise, en France et ailleurs ?

Jacques Mercier : L’INSEE par exemple définit une entreprise comme  « une unité économique, juridiquement autonome dont la fonction principale est de produire des biens et des services pour le marché ». Quant au ministère de l’économie et des finances français, il la définit sur son portail « facil’éco » comme « une réunion de personnes et de capitaux pour accomplir un projet de réalisation de prestation ou de produits destinés à être vendus à des clients sur un marché concurrentiel dans le secteur d’activité donné. Les entreprises peuvent prendre diverses formes de la société anonyme à l’entreprise individuelle. L’entreprise verse des salaires à ses employés, des dividendes à ses actionnaires, des impôts à l’Etat et aux collectivités territoriales. C’est un acteur économique essentiel qui participe à la création et à la redistribution des richesses ». Au niveau Européen, une nouvelle acception de l’entreprise : « toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique ». Soulignons qu’aux Etats-Unis, il n’existe pas non plus de définition commune de ce qu’est une entreprise ou de la finalité de celle-ci.

 Les entreprises ont comme responsabilité, tout d’abord, de rendre disponible sur le marché des produits et des services de qualité à des prix raisonnables, créant ainsi des profits qui attirent l’investissement, créent des emplois et renforcent l’économie.

Le Business Roundtable, association de PDG des plus grandes entreprises américaines représentant plus de 7 000 dollars de chiffre d’affaires et plus de 15 millions de salariés aux Etats-Unis, a fait évoluer sa définition de l’entreprise et de ses objectifs au cours du temps reflétant les évolutions dans les modes de gestions des entreprises. En 1981, il définissait les missions des entreprises comme : « les entreprises ont comme responsabilité, tout d’abord, de rendre disponible sur le marché des produits et des services de qualité à des prix raisonnables, créant ainsi des profits qui attirent l’investissement, créent des emplois et renforcent l’économie ». À partir de 1997, la mission des entreprises mise en avant par le Business Roundtable a évolué vers une approche plus court terme de la mission de l’entreprise : « l’objectif principal d’une entreprise est de créer de la valeur pour ses actionnaires […] si le PDG et les administrateurs ne sont pas focalisés sur la création de valeurs pour l’actionnaire, l’entreprise a moins de chance de réaliser cette valeur ».

En quoi ces différentes définitions peuvent générer des différences d’appréciation importantes ?

Jacques Mercier : Ces différences de définitions des objectifs et des missions des entreprises dans l’économie mettent en exergue des approches différentes de l’organisation de l’activité économique. On remarquera également que les définitions de l’entreprise et de ses buts sont également fonction de la finalité de l’institut produisant cette définition. Ainsi, la définition de l’INSEE est avant tout utilitaire et lui permet de produire des statistiques sur l’économie nationale là ou l’évolution de la définition des missions de l’entreprise par le Business Roundtable traduit avant tout une évolution des pratiques managériales et de rémunération des PDG et des managers aux Etats-Unis et dans le monde avec l’avènement de la pratique des stock-options.

Quel est l’apport de la loi « PACTE » sur cette question ?

Jacques Mercier : L’évolution de la législation française grâce à la loi « PACTE » permet, en partie, de réconcilier les notions de société et d’entreprise. Elle met également en avant la pluralité des parties prenantes de la société dès sa création. Elle responsabilise également les organes de gouvernance des entreprises par rapport aux enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux auxquels elles font face. Enfin, l’intégration des notions de raison d’être et d’entreprise à mission dans le Code civil place la notion de long terme au cœur même des statuts des sociétés.

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