Dernier moment de notre rencontre avec Jacques Mercier, qui considère la définition de la raison d’être de l’entreprise comme une opportunité pour un dirigeant : l’opportunité de se rapprocher de l’ensemble de ses parties prenantes.
A quelles questions répond la raison d’être ?
Jacques Mercier : Définir une raison d’être revient à répondre à trois questions. Pourquoi ai-je entrepris ? Comment je souhaite conduire mes affaires ? Que dois-je produire pour répondre aux deux questions précédentes ? Ces trois questions sont au cœur de toute entreprise entrepreneuriale et leurs réponses permettent de donner un sens à l’activité de la société, de lui donner une direction sur sa stratégie de long terme, mais également une identité unique tout en permettant de faciliter la mise en place d’une stratégie de communication cohérente. Répondre à ces trois questions permet également de réaliser la synthèse de tous les outils dont nous avons parlé précédemment et donc d’en faire la synthèse au niveau de la société dans son ensemble. La raison d’être est donc un outil managérial extrêmement puissant à la disposition des dirigeants et des propriétaires des entreprises. Il permet de faciliter le dialogue avec toutes les parties prenantes de l’entreprise.
Et quels en sont les dangers ou les points de vigilance ?
Jacques Mercier : Se doter d’une raison d’être, pour une société qui n’est pas prête, peut se révéler potentiellement problématique. En effet, la raison d’être, inscrite dans les statuts devient une règle de gestion de l’entreprise qui doit être respectée et pour laquelle la direction de l’entreprise doit allouer des ressources et sur laquelle elle doit potentiellement rendre compte auprès des associés ou des actionnaires. Ainsi, le non-respect de la raison d’être de l’entreprise entraîne le non-respect des statuts de la société. Le fait de ne pas respecter les statuts de l’entreprise par ses dirigeants peut être passible de poursuite devant des juridictions civiles de la part des associés ou des actionnaires.
Cela représente également une faute grave pouvant mener au licenciement du dirigeant. Dans le cas de la relation avec les actionnaires de la société, il est également important de souligner l’apparition d’une nouvelle forme d’actionnariat activiste qui pourrait potentiellement engendrer un risque dans le cadre de la raison d’être. En effet, de nombreuses ONG ont développé une stratégie originale pour questionner les dirigeants des entreprises sur leur façon de conduire leurs affaires : ils deviennent actionnaires des sociétés qu’ils visent. Dans ce cadre, ils ont accès à tous les documents relatifs à la société ainsi qu’à tous les droits relatifs aux actionnaires.
Si une société ou une de ses filiales est reconnue comme ne suivant pas sa propre raison d’être dont elle s’est dotée de manière volontaire, cela pourrait avoir un impact extrêmement important sur sa réputation et sa capacité à conduire ses affaires (perte de confiance dans la société, impact sur la capacité à recruter, impact sur la relation client, impact sur les relations avec les parties prenantes externes, impact sur la relation avec les actionnaires…).
Dans ce cadre, une action d’ONG actionnaire de la société à l’encontre de ses dirigeants dans le cadre du non-respect de la raison d’être de l’entreprise peut être effectuée au titre d’actionnaire. De plus, une dernière contrainte relative à l’adoption d’une raison d’être dans les statuts de la société est relative aux grands groupes. En effet, comme la raison d’être de l’entreprise de tête s’apparente à une règle de gestion dans les statuts de celle-ci, ils s’imposent de facto aux statuts et aux règles de gestion de ses filiales.
Enfin, le dernier défi lié à la raison d’être est le fait même de la suivre ou non. Si une société ou une de ses filiales est reconnue comme ne suivant pas sa propre raison d’être dont elle s’est dotée de manière volontaire, cela pourrait avoir un impact extrêmement important sur sa réputation et sa capacité à conduire ses affaires (perte de confiance dans la société, impact sur la capacité à recruter, impact sur la relation client, impact sur les relations avec les parties prenantes externes, impact sur la relation avec les actionnaires…). La raison d’être est donc un outil managérial très puissant qui permet à l’entreprise de marquer fortement sa différence, mais il comporte des risques inhérents à son intégration dans les statuts des sociétés le rendant extrêmement engageant et donc potentiellement risqué.
Si demain une entreprise décide de se lancer dans cette démarche, par quoi doit-elle commencer ?
Jacques Mercier : Avant de doter la société d’une raison d’être dans ses statuts, les dirigeants doivent s’assurer qu’elle sera comprise par tous, portée par tous et partagée par tous. Ce processus peut avoir un horizon de temps long et pourrait donc ne pas coïncider avec le besoin de l’entreprise de se doter d’un outil d’une nature équivalente. Ce besoin offre aux entreprises l’opportunité de commencer le travail sur la raison d’être sans pour autant modifier les statuts de la société. Ce travail revient à doter la société d’un « mission statement », comme c’est souvent le cas pour les entreprises originaires des pays anglo-saxons. Ces pays utilisent le « mission statement » depuis de nombreuses années. Lorsqu’il est bien utilisé, c’est un outil très performant de différenciation et un outil managérial très performant. Une étude de 2016 du cabinet Korn Ferry montre que pour 70 % des PDG interrogés, le fait d’avoir un « mission statement » augmente grandement la productivité des employés.
Le « mission statement » est également un outil puissant dans la relation entre les employés et les entreprises alors qu’il a été montré que 1/3 des salariés n’ont aucune confiance dans leurs employeurs (Edelamn trust barometer). Enfin, le fait d’avoir un « mission statement » clair et intégré au cœur de l’entreprise permet de faciliter les relations avec les collaborateurs.
Le « mission statement », lorsqu’il est utilisé correctement, intégré à la stratégie, au management de l’entreprise et intégré par tous les éléments de celle-ci permet, en une ou deux phrases, d’identifier les principaux objectifs de l’entreprise et ce qui la définit.
Deloitte a montré que 73 % des employés travaillant dans des entreprises avec un « mission statement » se sentent engagés dans l’entreprise contre seulement 23 % pour ceux travaillant dans une entreprise sans mission. Le « mission statement », lorsqu’il est utilisé correctement, intégré à la stratégie, au management de l’entreprise et intégré par tous les éléments de celle-ci permet, en une ou deux phrases, d’identifier les principaux objectifs de l’entreprise et ce qui la définit. Pour la BBC par exemple, « to enrich people’s lives with programmes and services that inform, educate and entertain », ou encore Tesla « Our goal when we created Tesla a decade ago was the same as it is today: to accelerate the advent of sustainable transport by bringing compelling mass market electric cars to market as soon as possible ». En lisant le « mission statement » de ces entreprises, il est aisé de comprendre la façon qu’elles ont de conduire leurs affaires, les points clés sur lesquels elles ne transigeront pas, mais aussi quel est leur objectif à long terme.