Cette ex-journaliste économique (re) donne le sourire aux habitants d’un quartier qui viennent cuisiner et déjeuner dans ses Petites cantines. Elle les a cocréées avec Etienne Thevenot. D’abord à Lyon. Désormais à Lille et Strasbourg. Bientôt à Paris, Annecy et certainement ailleurs, là où une équipe s’emparera d’un concept dont le lien social est le secret de la recette.
Elle a imaginé Les petites cantines en pleine période de remous intenses dans sa vie personnelle. « On m’a découragée en me disant que ce n’était vraiment pas le moment, que je devais plutôt m’occuper de mes trois enfants et faire le deuil de mon conjoint décédé dans un accident de voiture », se souvient Diane Dupré La Tour, journaliste économique pendant de nombreuses années. A 32 ans, sa vie bascule au détour d’une route et remet en cause pas mal de certitudes. « Je vivais sur un rythme effréné avec un sentiment de fuite en avant. J’ai alors décidé de démissionner de mon poste de rédactrice en chef d’un magazine économique lyonnais et de quitter la presse, un métier qui me passionnait. Je pensais retrouver un projet rapidement, en quelques semaines. Pourtant, les nons s’enchaînent sur des sujets qui ne me correspondant pas. Je contacte des JD que je côtoyais en tant que journaliste, car je savais que je voulais montrer un projet entrepreneurial qui fait aussi référence à l’innovation sociale, une composante importante pour moi. »
Convaincue que c’est avant tout les hommes qui sont la clé du succès de n’importe quel projet, elle se tourne vers Etienne Thouvenot, le mari d’une amie. « Je lui dis que je veux créer avec lui. Nous ne savons pas encore quoi, mais ce sera ensemble. » De déjeuners en discussions, l’idée de « prendre le repas comme média » émerge.
« Jeune fille, je visitais une vieille dame isolée de mon quartier à Paris. J’entendais l’Histoire à travers sa petite histoire à elle. Ces discussions ont fait émerger un petit truc, ma première passion pour les riches rencontres que provoque le métier de journaliste. » Une première petite étincelle qui se ravivera plusieurs années plus tard. « Lors du décès de mon conjoint et alors qu’un de mes enfants est dans le coma, la solidarité de mes voisins a été très importante », relate Diane Dupré La Tour. Petit à petit, ses aspirations de jeunesse, le destin qui bouscule et les rencontres ont fait émerger le projet des Petites cantines.
Prix libre
La première petite cantine ouvre ses portes à Lyon Vaise en septembre 2016. Cette cantine de quartier entend créer du lien entre les habitants en les faisant participer à la cuisine des repas vendus au prix libre. « On a démarré sur le principe de la perte acceptable. Je ne pouvais pas apporter de fonds, mais j’étais prête à donner un an à temps partiel pour monter le projet. » Diane Dupré La Tour et Etienne Thouvenot choisissent le statut associatif, « suffisamment caméléon pour impliquer les bénévoles, partager la gouvernance et développer le concept », et mobilisent les entreprises du quartier pour lever les fonds nécessaires aux travaux de la première cantine.
En 2020, trois petites cantines sont effectives à Lyon, une quatrième va ouvrir dans le quartier d’affaires de la Part-Dieu en fin d’année, une deuxième cantine devrait ouvrir à Lille, une structure sera créée à Annecy en septembre, des locaux et des partenaires s’activent à Oullins, près de Lyon, à Strasbourg et à Paris. « Le modèle repose sur l’implication des habitants afin de créer un lieu qui réponde à leurs attentes. La proximité et la création de lien social sont la raison d’être des petites cantines. »
Chaque cantine est indépendante et gérée par une association qui s’occupe de ses approvisionnements, plutôt locaux et bio. Un « maître de maison » supervise la logistique, les approvisionnements en circuits courts, la cuisine participative, la gestion des stocks, l’accueil des convives… Les profils des salariés des petites cantines, quatorze dans l’organisation actuelle auxquels s’ajoutent 60 administrateurs et douze volontaires en service civique, sont variés : ils sortent de l’Institut Paul Bocuse, de Ferrandi Paris, mais aussi de restaurants étoilés, d’un service marketing, de l’Education nationale, sont diplômés en langues… « Tous ont un point commun : ils ont réellement envie de s’investir dans un projet de société », affirme Diane Dupré La Tour. Une petite cantine équivaut à près de 3 000 adhérents par an et à la gestion d’une trentaine de partenaires. « Nos salariés sont solides, car il faut une organisation à toute épreuve et de réelles capacités d’écoute. Mais nous sommes tous dans une posture d’apprenant. »
Communauté apprenante
Diane Dupré La Tour et Etienne Thouvenot tendent à pousser le modèle le plus loin possible. « Nous nous sommes clairement positionnés comme une communauté apprenante. » Et les habitants sont aussi partie prenante de l’expérience. « Nous voulons créer une nouvelle manière de vivre en valorisant les savoir-faire familiaux, dans une dynamique de réussite collective, en redonnant la confiance en soi. Des études révèlent qu’un quart des Français se sentent isolés, avec un impact sur la santé. Nous permettons de se sentir utile socialement. »
Avec une expertise affinée depuis près de cinq ans, les chercheurs commencent à s’intéresser à la fois au modèle économique, avec l’expérimentation du prix libre, à la gouvernance participative et au fait de refonder une société sur la confiance, en étant au service du bien commun. Un post-doctorant du centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse va prochainement démarrer une mission de recherche de huit mois, financée par AG2R La Mondiale, pour étudier le modèle des Petites cantines.
Un modèle que Diane Duprè La Tour souhaite garantir et pérenniser. Elle préside désormais à la stratégie de développement du réseau afin que « chacun incarne l’ADN des Petites cantines », partage les bonnes pratiques et que « nos actions soient en relation avec le sens ». Elle en est viscéralement convaincue : « L’innovation sociale vient du terrain ».