Lequel d’entre nous n’a pas vu, entassés sur les quais des ports, des filets de pêche noirs, bleus, roses, verts… eh bien, c’est justement en les regardant que trois jeunes Bretons ont créé la première filière de recyclage et de valorisation des filets en France.
Chaque année, huit cents tonnes de filets de pêche sont abandonnées sur le littoral français dont plus de la moitié en Bretagne. Fabriqués pour l’essentiel en polyamide 6, c’est-à-dire en nylon, ils sont extrêmement solides et résistants au choc ; pourtant, leur durée de vie oscille entre huit mois et un an. Ensuite, ils sont soit enfouis, soit brûlés, soit envoyés à l’étranger pour être recyclés. « C’est en nous baladant un soir sur le port de Brest à la recherche d’une idée de projet pour notre licence en design de l’Ecole européenne supérieure d’art de Bretagne, explique Théo Desprez l’un des cofondateurs avec Thibaut Uguen et Yann Louboutin de la société Fil & Fab, que nous avons été attentifs à tous ces filets de pêche abandonnés. Nous nous sommes renseignés pour connaître leur devenir et avons appris, qu’une fois abîmés, ces filets de plastique étaient ramenés à terre par les pêcheurs qui devaient en plus, acquitter une taxe pour leur enlèvement, avant qu’ils ne soient incinérés ou enfouis. Dans un garage, nous avons essayé de les faire fondre au fer à repasser et au chalumeau pour voir si on pouvait en tirer quelque chose. Et manifestement il y avait quelque chose à faire, même si on ne savait pas trop où on mettait les pieds. Notre vision de départ était assez expérimentale. » C’est leur présence sur l’un des stands des fêtes maritimes de Brest et le succès rencontré auprès du public qui entraineront en 2016 la création de l’association Fil & Fab, qui se transformera en 2019 par la naissance de l’entreprise du même nom.
Un travail maille par maille
Au départ, les trois créateurs défibrent eux-mêmes les filets récupérés auprès des pécheurs brestois et s’organisent avec le parc marin d’Iroise pour récupérer les stocks retrouvés. Conjointement, ils travaillent avec un centre de recherche ID Composite, pour tester leur matière première. Ils obtiennent ainsi, à partir des filets de pêche broyés, un premier sous-produit, des plaques de plastique pouvant prendre différentes formes. Ils commencent par des luminaires, des sous-verre… Mais très vite, ils se rendent compte que c’est trop compliqué et pas viable. Ils se positionnent différemment. Ils nouent différents partenariats. Jusqu’en Italie. S’ils poursuivent eux-mêmes la collecte et le tri des filets, écartant ceux qui sont trop endommagés, c’est désormais une entreprise d’insertion sociale, les Genêts d’or, située à Guipavas près de Brest, qui retirent les cordages, les démontent et les reconditionnent avant qu’ils ne soient transformés par la broyeuse de Théo, Thibaut et Yann en brins de plastique. « Nous avons évidemment cherché en France un partenaire industriel pour recycler les filets. Mais, précise Théo, le volume à traiter n’intéressait personne. Du coup, nous travaillons avec une société italienne. Nous envoyons là-bas nos filaments de plastique qui sont chauffés, transformés en granulés et reviennent en France pour être vendus. Dès 2022 nous disposerons d’une extrudeuse, une énorme machine qui coûte cinq cent mille euros et qui est déjà partiellement financée par des subventions. Elle nous permettra d’effectuer nous-mêmes le travail actuel des Italiens. »
Des projets à la nasse
En 2020, une première collection de paires de lunettes de soleil de la marque Acuitis a été produite avec ce matériau. Déclinées en quatre gammes îles de Bréhat, de Cézembre, de Houat et d’Ouessant elles se sont vendues avec succès au prix unique de quatre-vingt-dix euros. De plus, le groupe textile breton Armor-Lux s’était associé au projet en estampillant de sa marque ces modèles de lunettes à base de filets de pêche. Une fabrication qui sera reconduite en 2021. « Nous collaborons aussi avec le fabricant de montres suisses Ulysse Nardin. L’entreprise utilise le plastique des filets de pêche dans la fabrication des boîtiers ; et de jeunes créateurs ont également acheté nos granulés. »
En 2021, les trois associés recruteront un technico-commercial et deux agents de tri et, pour accueillir la jeune entreprise en développement, la communauté du pays d’Iroise a mis à sa disposition un hangar de mille cinq cents mètres carrés en cours d’aménagement. « Nous travaillons directement avec les collecteurs chargés de ramasser les filets et les directions portuaires en Bretagne. Nous avons concrétisé des projets de développement similaires en Normandie et en Occitanie et nous sommes en discussion avec les acteurs de la côte Basque. Seule la masse nous permettra de travailler avec les industriels, fabricants de meubles et d’objets. En 2021 nous espérons recycler 170 tonnes de filets contre simplement une dizaine en 2020. » Et qui sait, dans quelques années, leur formation de designer leur permettra sans doute de décliner leur propre gamme de produits…