Aroona Mann dirige Haus Mod, une entreprise de textile basée à Noida (Sud-Est de New Delhi) qui séduit les acheteurs européens. Cette femme d’affaires a été récompensée par un trophée d’or de la meilleure exportatrice d’Inde.
Lors de sa dernière visite à la Fashion Week, Aroona Mann a fait un détour par H & M sur les Champs Elysées voir ses chemisiers en rayons puis s’est rendue dans le quartier du Sentier où autrefois elle venait négocier avec des acheteurs. « Quelle tristesse que la capitale de la mode laisse ce lieu mythique s’éteindre avec la concurrence des boutiques chinoises hors de Paris, ce parfum de la mode me manque».En se promenant enfant dans les plantations de thé Darjeeling, au nord-Est de l’Inde, Aroona s’inventait une vie dans le milieu de la mode. Ses rêves éveillés l’emmenaient parfois à Paris, cette ville fantasmée avec ses podiums et ses défilés de mode qu’elle avait aperçus à la télévision. « Mes copines se moquaient de mes ambitions, mais dans ma famille les filles étaient encouragées à gagner leur indépendance».
Ne pas abandonner son rêve
Avec une mère cadre dirigeante aux chemins de fer et un père promoteur immobilier, elle peut suivre les cours de la sérieuse institution St Mary’s covent et intégrer l’école de mode de New-Delhi (filiale de la fameuse Fashion Institute of New York). Mais elle ne se doute pas à quel point son projet va être semé d’embûches. Dans les années 80, les créateurs indiens ne sont pas reconnus comme tels, juste bons à fournir de la belle matière textile et l’on ne parie que sur les marques internationales, la plupart des femmes allant toujours chez les tailleurs pour des vêtements sur mesure. « Il n’était pas si facile de dominer les hommes en tant que jeune femme, or la plupart de mes fournisseurs étaient uniquement des hommes ». Revoyant ses ambitions à la baisse, elle devient designer pour quelques exportateurs depuis sa petite boutique installée dans un garage de la banlieue de Delhi.
Mariée à 20 ans, elle va s’occuper de son petit garçon et c’est à trente ans qu’elle décide de ne pas abandonner son rêve. Après un poste à temps plein dans une entreprise américaine, ses créations sont remarquées par un acheteur allemand qui vend sa collection sous le nom de « Aroona Selected Comfort ». Son label séduit de nombreuses Européennes pendant 10 ans. Elle décide alors de voler de ses propres ailes et crée Haus Mod.
Responsable du bien-être des salariés
Germanophile marquée par son expérience, elle a choisi ce nom dont elle rappelle qu’il signifie « House of fashion ». Elle devient une pionnière en montrant les tendances détectées par son bureau de recherche aux acheteurs. « À l’affût des styles et de la mode, il nous a fallu à la fois exceller dans le design, investir dans la recherche – développement tout en étant compétitif». Des efforts intenses sont demandés au personnel, mais en contrepartie, elle leur facilite la vie quotidienne (souplesse d’horaires, salles de détente). « Je demande beaucoup, mais je suis responsable de leur bien-être ». Sa production s’organise autour des vêtements de tous les jours pour des marques grand public comme Zara, mais s’ouvre également au haut de gamme Italien.En France, elle va signer de nombreux contrats avec Beaumanoir (Saint Malo), Naf Naf, Les 3 Suisses, Gérard Darrel. « Il y a énormément de nouveaux entrepreneurs et en raison des nombreuses crises et restructurations, on a plus tendance à travailler avec Zara et HM qui proposent des options beaucoup moins chèreset surtout sont plus fiables quedes maisons de couture peu fidèles,qui ne comprennent pas ce que signifie travailler avec un pays en développement ».En 2018, Haus Mod exporte vers les pays scandinaves à 75 % et la part de la France est descendue à 15 %. Dans son pays, Aroona entend développer l’entrepreneuriat féminin. De New-Delhi à Bangalore, elle passe beaucoup de temps dans les universités et centres de formation à pousser les étudiantes à monter des projets.
« On parle beaucoup de la face émergée de l’iceberg comme Arcelor Mital ou la haute technologie de Bangalore, mais la croissance économique de l’Inde dépend énormément de nos progrès à faire dans l’éducation et la formation des jeunes femmes, le potentiel est là». Approchant la cinquantaine, Aroona a fait appel à son fils, Rizvaan Singh (28 ans) pour trouver de nouvelles idées de développement, comme récemment la ligne enfants.