Le toit de Notre-Dame parti en fumée, se pose la question de la reconstruction. Avec des tentations diverses entre deux polarités : rebâtir à l’identique pour effacer l’accident, poursuivre l’œuvre avec les matériaux et moyens de notre époque.
Tout choc est un deuil. Le deuil de la vie sans l’accident, la catastrophe. Et tout deuil commence par une phase de déni qui tente d’effacer l’événement. La forme que peut prendre cette tentative est variable. Ce peut être de l’oubli ou de l’occultation. Du déni pur et simple (ça n’est pas arrivé). Ce peut être encore la recherche d’un coupable qui, chargé du crime, pourrait l’emmener loin de nous au fin fond d’une prison, en exil voire dans la tombe. C’est la voie des théories du complot, rien moins que des phénomènes de bouc émissaire.
L’effacement peut aussi être de réparer. Réparer de si belle manière que l’édifice serait tel que s’il ne s’était rien passé. Et même mieux, tel que si le temps n’avait pas passé puisque les années qui passent constituent en elles-mêmes une sourde et lente catastrophe. Notre-Dame rendue dans sa pureté originelle.
Une pureté qui n’a jamais existé, bien entendu, comme nous le savons puisque des restaurations successives ont modifié l’architecture, à commencer par celle menée par Viollet-le-Duc. Restaurer ce passé, ce serait restaurer toute une époque : non seulement l’objet mais aussi notre regard sur lui. Or, nous ne sommes pas des gens du XIIIe siècle.
Il ne s’agit rien moins que d’une question existentielle : retrouver Notre-Dame ou retrouver notre passé, pour chacun d’entre nous retrouver notre jeunesse, les années perdues et envolées. L’incendie de Notre-Dame est la manifestation de l’irrémédiable qui nous pend au nez. Mêmes les puissants y sont sensibles qui contribuent à la hauteur de leur puissance à la restauration la plus rapide et la plus complète possible, comme un lifting ou une cure de jouvence.
D’un autre côté, nous pourrions imaginer poser une pyramide en verre sur le toit de la cathédrale. Ou bien une tente en fibre de carbone. Jouer la carte de la rupture. Voire carrément raser l’édifice pour construire un temple du XXIe siècle. Selon les goûts, une galerie marchande ou un espace d’éco-partage. Ça, c’est la tentation de la table rase ou de la réincarnation. Courons à la mort pour renaître plus rapidement dans un monde meilleur et dans une version meilleure de nous-mêmes.
D’un côté l’angoisse de « finitude », de l’autre celle d’imperfection. Des angoisses non dites qui pourraient nous faire agir à notre insu.
Alors, peut-être, regarder l’angoisse en face ; regarder le toit brûlé de la cathédrale. Pleurer la perte peut-être pour ceux qui en ressentent le besoin sans les sécher trop vite par des projets hâtifs. Pour enfin circuler entre les deux polarités dans toute la palette des choix possibles, dans toutes les nuances du devenir. De quoi avons-nous besoin aujourd’hui ? Quel projet sert notre avenir ? Peut-être que ça pourrait malgré tout passer par de la reconstruction à l’ancienne, avec la formation de métiers d’art si ce mouvement pouvait vivifier notre futur ; peut-être que ça pourrait passer également par une pyramide en verre ou un toit en fibre de carbone.
Tout pour servir l’avenir, sauf donner libre court à notre angoisse et nous laisser mener par elle à notre insu.
Laurent QUIVOGNE