Pour Mary Parker Follett, l’unité naît des différences qu’il faut prendre en compte. Mais comment réussir concrètement à embarquer sur un même bateau des gens qui ne se ressemblent pas ou dont les avis divergent ?
Il faut chercher la diversité et non tout faire pour la réduire ou l’abolir. Pour rendre cela possible dans les organisations, il faut que chaque individu prenne aussi conscience des différences qui le traversent. Sans cela, il ne peut s’intégrer à un collectif. Pour considérer les différences entre deux individus dans l’entreprise (par exemple l’employeur et l’employé), il faut s’intéresser aux différences que chaque individu développe en lui-même. Non pas avant, mais en même temps. « […] nous devons nous rappeler, ce qui est souvent oublié, que ceci n’est pas un processus préalable ; les deux intégrations, interne et externe, se font simultanément. »
Cette double intégration est possible parce que les hommes et les femmes ont besoin de l’altérité pour se construire. Ceux-ci en effet prennent conscience d’eux-mêmes, développent leur identité au contact des différents groupes que nous intégrons, c’est-à-dire par « interpénétration » ou, pour utiliser un terme plus récent, par « socialisation ». Mary Parker Follett établit ainsi le lien entre progrès individuel et progrès social. L’un ne va pas sans l’autre ; les deux s’auto-engendrent.
Pour que ce progrès soit possible, l’homme doit apprendre à se connaître, c’est-à-dire connaitre ses différentes facettes. Réduire l’homme à une seule facette, c’est-à-dire l’enfermer dans un unique aspect de son identité (par exemple sa profession), c’est entraver son développement. Il importe donc « de connaître la vie » en profondeur, en hauteur et non pas seulement de manière horizontale. Connaître de manière horizontale, c’est rester au niveau de son milieu social, auprès de ses semblables. « Cet homme a toujours vécu parmi le même genre de personnes, sa vie n’a pas été élargie et enrichie par la friction des idées et idéaux qui viennent à lui en rencontrant opportunément des personnes aux goûts et standards différents. »
Boucle de rétroaction
Le secret pour y arriver, c’est ce que les éducateurs doivent s’efforcer de susciter chez les enfants : « créer la vie pour eux-mêmes ». Je pense que Mary Parker Follett ne nous contredirait pas si nous disions que la plus grande des qualités selon elle, c’est d’être capable de saisir la vie dans sa radicale nouveauté, de décider en s’émancipant du poids du passé, des règles qui se cristallisent, des habitudes. Cette intuition remarquable de Mary Parker Follett est étonnamment moderne. Quand nous agissons, nous changeons notre environnement, qui va nécessiter que nous changions à notre tour. « Être “conscient de l’expérience” consiste à savoir reconnaître la différence entre un moment et un autre ; c’est le début de toute appréciation esthétique. Barrett Wendell avait l’habitude de nous dire que si nous devions nous arrêter sur le pont Harvard aujourd’hui à la même heure qu’hier et regarder exactement le même coucher de soleil, si ceci fut possible, malgré tout, l’expérience ne pourrait être la même qu’hier parce que nous sommes différents : nous serions plus vieux d’une journée. Aucune expérience ne peut être répétée, et c’est là qu’est à la fois la tragédie de la vie et, en même temps, sa grandeur : son mouvement irrépressible. »
Sources : Héon, François; Davis, Albie; Jones-Patulli, Jennifer; Damart, Sébastien. L’Essentielle Mary Parker Follett: Des réponses pour s’organiser et vivre ensemble – Citations choisies. The MPF Group.