Cet article est parti d’une réflexion banale, à propos de mots, les mots que j’affectionne.
J’apprends récemment qu’existe un mot – andragogie – qui désigne la formation pour adulte, tandis que pédagogie, que je croyais plus universel, est spécialement dédié à l’enseignement des enfants, ainsi que l’indique sa racine, péd-, comme dans pédiatre ou pédo-psychiatre. Tandis qu’andragogie vient de andros qui signifie homme au sens d’adulte. Très bien, me dis-je, enfant-gogie, l’enseignement des enfants, adulte-gogie, l’enseignement des adultes. Mais alors, est-ce que démagogie serait l’enseignement du peuple ?… Il est évident que non. D’où il apparaît, s’il en était besoin, que le langage n’obéit pas à des règles logiques strictes mais est, au contraire, tissé de contradictions, avec autant de règles que d’exceptions. Simplement parce qu’il s’est construit en même temps que s’est développée la culture qui l’accompagne. Comme un arbre au fil des saisons, dont le tronc oblique parfois au gré des obstacles, du voisinage, des accidents de parcours comme des maladies. Ainsi les « faux de Verzy », hêtres tortueux dans la forêt de Verzy près de Reims. Bizarreries qu’un forestier trop rigoureux aurait tôt fait de tronçonner pour laisser place à d’autres spécimens au tronc longiligne.
D’où il me vient que nous avons deux possibilités extrêmes. Nous en tenir à la réalité du langage, illogique, parfois irrationnel, renoncer à le domestiquer tout à fait et accepter, pour l’essentiel, ses règles bizarres. Ou bien tenter de plier ce langage à notre volonté, uniformiser les règles.
Les deux possibilités ont leurs défenseurs ; j’incline pour la première, sans rigueur excessive, tant je tiens le langage en haute estime et considère que sa complexité est le reflet de la complexité de la vie, de nos vies, et que le simplifier serait amputer nos existences de potentialités peut-être inexplorées. Quelle complexité intéressante pourrait bien contenir un accent circonflexe m’objectera-t-on ! Je n’en sais rien : mais en ce temps où l’on craint que les robots ne nous remplacent un jour, je n’ai guère envie de préparer le terrain en rendant le langage – et donc la pensée – absolument linéaire. Changer la langue pour changer la culture me semble être par ailleurs une dangereuse et hasardeuse manipulation ; raison pour laquelle je suis hostile à l’écriture inclusive, et ce même pour une cause que je soutiens. Enfin, et peut-être surtout, j’aime l’idée que le langage échappe toujours à une étroite raison, que le sens d’un mot ne soit pas tout entier dans son étymologie – je songe encore au travail qu’on veut souvent réduire à la souffrance du tripalium, instrument de contrainte et de torture à l’origine du mot.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » disait Camus ; contraindre les mots, contraindre la langue, c’est contraindre le monde et les êtres.