L’historien Jean-Baptiste Fressoz nous invite à reconsidérer la manière dont nous envisageons la transition énergétique. Il suggère que nous devrions également repenser nos pratiques et nos modes de vie pour parvenir à une société réellement durable.
Fressoz interroge notre rapport à l’énergie, en dévoilant les dynamiques sous-jacentes qui ont façonné notre ère industrielle. Un malentendu mérite notre attention. Fressoz affirme que les nouvelles énergies ne sont pas simplement venues remplacer leurs prédécesseuses. L’ère du charbon n’a pas éclipsé celle du bois, tout comme le nucléaire n’a pas entièrement déclassé le charbon. Par exemple, il a fallu des quantités considérables de bois pour étayer les galeries minières.
Accumulation plutôt que remplacement
Les énergies, à travers l’histoire, se sont donc superposées, entraînant une augmentation de la consommation globale. Par exemple, l’émergence de l’électricité n’a pas éliminé l’usage domestique du charbon.
Fressoz remet ici en question l’idée d’une transition énergétique fluide, soulignant que chaque énergie a ses caractéristiques propres, la rendant non substituable dans certains domaines. Si l’éolien et le solaire peuvent alimenter nos maisons, ils ne répondent pas encore aux exigences de tous les secteurs. Le pétrole, très efficace énergiquement, a de beaux jours devant lui…
« L’histoire de l’énergie à visée gestionnaire repose sur un sérieux malentendu : ce qu’elle étudie sous le nom de “transition énergétique” correspond en fait très précisément à l’inverse du processus qu’il convient de faire advenir de nos jours dans le contexte de la crise climatique et du pic pétrolier.
La mauvaise nouvelle est que si l’histoire nous apprend bien une chose, c’est qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais celle d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire. L’erreur de perspective tient à la confusion entre relatif et absolu, entre le local et le global : si, au 20e siècle, l’usage du charbon décroît relativement au pétrole, il reste que sa consommation croît continûment, et que globalement, on n’en a jamais autant brûlé qu’en 2012. »[1]
La solution à la crise écologique ne réside pas uniquement dans l’adoption de nouvelles technologies « vertes ». Fressoz développe la plus grande méfiance envers les approches qui promettent que nous pourrons maintenir nos niveaux actuels de consommation et de croissance grâce à des innovations technologiques. Il suggère plutôt que la véritable innovation pourrait résider dans la réinvention de modes de vie sobres. La sobriété n’est pas une idée nouvelle ou radicale, mais une vertu ou un idéal. C’est ce que l’histoire nous enseigne.
[1] Jean-Baptiste Fressoz, L’évènement Anthropocène, Points Histoire, 2016.
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