Quoi de plus gracieux qu’un couple de danseurs virevoltant, s’étreignant, s’embrassant devant la Tour Eiffel illuminée, le soir du 14 juillet 2020 ! Quoi de plus somptueux que le traditionnel feu d’artifice, éclatant tandis que résonne la voix de Dalida :
Laissez-moi danser laissez-moi
Laissez-moi danser chanter en liberté tout l’été…
Quoi de plus incohérent avec les avertissements répétés de tous les experts, alarmés par les recrudescences de contaminations et le relâchement des mesures de distanciation, du port du masque. Les autorités envisagent de rendre celui-ci obligatoire, mais en attendant, qu’inspire ce spectacle on ne peut plus officiel ? Le désir encore plus fort d’aller « danser chanter en liberté tout l’été » comme si nous étions éternels, pour reprendre les mots de Dalida. Autrement dit, comme si le virus n’existait pas.
A la rigueur, on aurait pu, avant le ballet, préciser que les deux danseurs avaient été testés et qu’ils n’étaient pas porteurs du virus, qu’ils pouvaient donc, exceptionnellement, violer les règles de la distanciation. Règles, d’ailleurs, que deux ministres n’ont pas respectées, en s’embrassant lors de la passation de pouvoir du nouveau gouvernement !
Lettre au Président Macron
Tout cela peut prêter à sourire, apparaître anecdotique ! Deux danseurs s’embrassent, pas de quoi en faire un plat ! Sauf qu’ainsi encouragés, des imprudents vont céder à leurs impatiences, se contaminer et contaminer d’autres personnes. Des femmes et des hommes vont mourir dans les semaines qui viennent à cause de cette chanson, ce pas de danse, un flagrant faux pas.
Il ne s’agit pas de stigmatiser l’un ou l’autre, mais d’insister sur l’absolue nécessité d’une cohérence de chaque instant, dans chaque action, pour que l’on n’affaiblisse pas constamment la lutte contre la pandémie. Il ne sert à rien de se gausser de ces Français qui réclamaient amèrement des masques et les négligent à présent ! Rappelons que le bon exemple doit venir d’en haut et que ce qui est en jeu, ce sont des vies humaines. Vies de souffrance de ceux dont les emplois sont menacés par la poursuite de la pandémie et des mesures qu’elle va imposer. Vies tout simplement rayées des futures victimes du virus.
Dans une lettre ouverte au Président Macron, publiée par Ouest-France, Hervé Sérieyx — ancien membre du CJD — et moi venons de formuler six propositions. L’une d’elles porte sur la cohérence des politiques de l’Etat :
Soyez le Président gardien du long terme et orchestrateur de cette cohérence de l’État, mise à mal par nos cloisonnements mentaux et administratifs. Que les mesures, en faveur d’une réindustrialisation et de notre souveraineté, ne soient plus contredites par des contrats passés aux majors américains sur des sujets sensibles !
Contresens industriels
Peut-être l’annonce de la création d’un Commissariat général du Plan va-t-elle en ce sens. Nous l’espérons vivement. Il y a tout à faire dans le domaine. Hervé Sérieyx et moi l’avions écrit, il y a neuf ans déjà, dans Aux actes, citoyens ! De l’indignation à l’action. Nous l’avons répété dans Alarme, citoyens ! Sinon, aux larmes » Nous donnions l’exemple que connaissent bien des dirigeants de PME innovantes : l’octroi du Crédit Impôt Recherche entraîne très souvent un contrôle fiscal. Un chef d’entreprise marseillais ayant vécu cela m’expliquait que, bloqué de longs mois, il avait failli mettre les clefs sous la porte. Bercy et la rue Descartes doivent mener une même politique en la matière.
Aujourd’hui se multiplient les annonces de mesures en faveur de notre réindustrialisation, de relocalisations, du renforcement de notre autonomie, de notre souveraineté numérique et industrielle. Souveraineté, notons au passage, qui n’a rien à voir avec le souverainisme, maladie dangereuse du repli hostile sur soi. Or, cette volonté politique est constamment contredite par des passations de marchés avec les géants du numérique dont nous déclarons ne pas vouloir devenir les sujets. Ces passations se font au détriment des champions français et européens qui ne peuvent se développer que si l’Etat et les grands groupes leur réservent des marchés.
Hervé et moi ne sommes pas seuls à dénoncer ces incohérences. Bernard Benhamou, Secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique, vient de souligner « le contresens industriel » commis par le ministère de la Santé. Celui-ci a choisi Microsoft pour gérer les données françaises de santé du Health Data Hub, plate-forme de création de services exploitant l’intelligence artificielle. Cela « constitue à la fois un risque en termes de souveraineté sur des données sensibles et une opportunité manquée pour développer des savoir-faire essentiels dans l’écosystème français de la santé connectée. »
Nos libertés fondamentales
La protection de nos données est fondamentale. Jean-Michel Jacques, député LREM du Morbihan, vient d’évoquer « le siphonnage des données d’un grand nombre de nos concitoyens et de nos entreprises, via des applications présentant d’importantes failles de sécurité durant le confinement ».
Or, depuis des années, le ministère des Armées « s’est jeté dans les bras de Microsoft », faute que la gendarmerie n’avait pas commise, optant pour les logiciels libres. Renault, dont l’Etat est actionnaire, vient de mettre ses données industrielles dans les mains de Google, alors que General Electric et Michelin ont bien montré la nécessité de garder la maîtrise de ses données et de les exploiter soi-même avec ses clients ; sinon, on perd des opportunités de rentes et des marges de liberté.
Bernard Benhamou arrive à la même conclusion que nous : il faut, comme les Etats-Unis, favoriser la croissance des petites entreprises en leur réservant une part des marchés publics. Nous avons rappelé au Président de la République que cette mesure, le Small Business Act, a permis à des PME américaines de devenir des géants. De plus, on sait, mais on oublie, incohérence de plus, que les emplois sont partout créés par la croissance des PME et détruits par les « rationalisations » des grands groupes.
« Notre dépendance numérique vis-à-vis d’acteurs étrangers devient à la fois économique et sociétale et obère peu à peu nos libertés fondamentales » constate Jean-Michel Jacques qui conclut : « Seule une action collective alliant entrepreneurs, chercheurs, pouvoirs publics et société civile pourra relever le défi ». En effet ! Mais cette action commune implique la fin de nos incohérences. Le futur Commissariat du Plan, présenté comme un gardien du long terme, saura-t-il rapidement devenir l’orchestrateur de la cohérence de nos actions en France ? Il en va de notre avenir.