Le 4 août dernier, le journal La Croix publiait cette tribune de Mélanie Berger-Tisserand. Pour la présidente du CJD, il faut aujourd’hui prendre à la racine les problèmes inédits et considérables qui se posent à l’Humanité et non plus se contenter de solutions paramétriques, voire purement cosmétiques. En un mot, assumer d’être radical !
C’est une surprise, nous voilà désormais radicaux. Pourtant, nous n’avons pas vraiment l’impression d’avoir bougé. Dès lors, que s’est-il donc passé ? Depuis la création du mouvement que je dirige, le Centre des jeunes dirigeants, en 1938, nous nous sommes voulus résolument progressistes dans notre vision de l’entrepreneuriat, dans notre vision de ce que doit être un « patron », une position assortie d’un devoir fondamental : servir le bien commun.
Dès la création de notre mouvement, son fondateur, Jean Mersch, parlait d’un combat, celui d’être totalement dévoué à l’idée que l’on a reconnue comme étant salutaire. Aurions-nous toujours été radicaux sans le savoir ?
Qui sont les radicaux ?
Si la radicalité — par définition — ne tolère aucune exception, alors peut-être sommes-nous radicaux quand nous affirmons que la marche du monde doit changer si nous voulons survivre. La radicalité est par essence du domaine de l’indiscutable. C’est repartir du réel, au-delà de l’opinion, dépasser l’opinionisme, chercher le fait, ce qui est là, devant nous, évident et prouvé. Or, il se trouve que l’impact de l’économie sur l’environnement aujourd’hui ne part ni d’un postulat ni d’une opinion. Elle part d’un fait.
Un fait que la science, toute la science, nous démontre par A + B : le fait que nous sommes collectivement, nous humains, affairés à détruire nos propres conditions d’existence. L’économie en roue libre telle que nous la connaissons œuvre chaque jour en toute décontraction à détruire son propre marché : l’humanité. Mais alors, qui sont les radicaux ? Ceux qui défendent une économie au service du vivant ou ceux qui s’appliquent à tout détruire ?
Si c’est être radical que de s’opposer au saccage de l’environnement, à la voracité de l’économie financiarisée et à la confiscation des richesses au profit d’un petit nombre de personnes, alors oui, nous sommes radicaux. Si c’est être radical de rêver à un monde plus juste, plus égalitaire et plus soucieux du vivant, alors oui, nous sommes radicaux, et pire que ça : nous ne faisons pas qu’en rêver, nous l’appliquons en actes à notre échelle, dans nos entreprises, fidèles à la pensée visionnaire de Jean Mersch.
Un besoin de modèles économiques radicalement nouveaux
Au service de quelle économie faisons-nous produire nos entreprises ? A quoi sert sa croissance ? À quoi sert l’enrichissement du PIB ? Quel modèle notre activité économique et celle de nos collaborateurs viennent-elles nourrir ? Aujourd’hui, nous en revenons tous aux fondamentaux. Et il est désormais indéniable que les règles du jeu économique détruisent le monde vivant. Il nous en faut donc de nouvelles, avec de nouvelles institutions pour les encadrer. La radicalité est aujourd’hui essentielle, parce que nous avons besoin de modèles économiques, d’institutions et de modes d’organisation radicalement nouveaux.
À notre échelle, nous faisons chaque jour autrement. Nous changeons, nous-mêmes, comme nous l’avons toujours fait au CJD, nos entreprises et nos modes de production. Souvent de manière radicale, en refusant de produire plus, mais pour produire mieux, en changeant nos modèles économiques, en révolutionnant nos modes d’organisation pour partager la gouvernance, la valeur, la production.
Nous mettons tout en œuvre, sur le terrain, à l’échelle locale, pour changer les règles du jeu. Nous travaillons avec l’écosystème de proximité. Nous inventons de nouveaux indicateurs de pilotage, comme la performance globale, qui propose de ne plus seulement mesurer notre performance à la lumière de la performance économique, mais en intégrant des mesures de bien-être, d’impact environnemental et social.
Nous calculons nos bilans carbone pour agir de manière éclairée. Nous nous formons pour faire une révolution copernicienne autour du rôle du dirigeant-entrepreneur, pour que le rapport au pouvoir change aussi : pour que se déploie toute la créativité humaine. Et ces activités locales, puissantes, sont un défi radical lancé à l’économie du néant.
Oui, notre projet est radical. Parce que la situation l’exige, mais aussi parce qu’il est éminemment politique, commun, puissant, enthousiasmant. Parce que la radicalité, c’est aussi de refuser de pathologiser l’angoisse, absolument légitime, des générations qui arrivent face à l’état de la planète. Pour en faire un combat, commun, sur la base de notre besoin de protéger la vie sur terre.
Nous devons pouvoir imaginer un autre mode de production, d’autres indicateurs de performance et de richesses. Nous aurons besoin de nouvelles institutions, de nouvelles règles collectives, de nouveaux mandats et d’un renouveau démocratique, fondé sur l’action et l’échelle locales. Notre fondateur, Jean Mersch, parlait de la responsabilité du patron à mener un « combat » pour contribuer, non par des slogans, mais par l’action et l’étude, à la révolution économique qui s’annonçait alors, en 1938. Ses mots, radicaux, résonnent aujourd’hui plus fort que jamais. Défendre la décroissance aujourd’hui, c’est être pragmatique et raisonnable.
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