Le mouvement des gilets jaunes est si protéiforme, que nous avons parfois, du moins certains d’entre nous, à n’en voir que la partie la plus spectaculaire, faite de déprédations et de violence. Il se pourrait néanmoins qu’une partie au moins des motivations des participants ne rejoignent certaines préoccupations des entrepreneurs.
C’est une de mes relations professionnelles qui témoignait auprès de moi de discussions qu’il avait eues avec des gilets jaunes en Vendée, notamment… sa coiffeuse. J’ai compris que ce n’était pas par pure difficulté financière que cette dame avait rejoint le mouvement, mais pour protester contre l’inflation bureaucratique. Par exemple, elle était confrontée à la nécessité de refaire sa vitrine pour des raisons d’accessibilité (et pour 3 centimètres exactement), alors qu’elle coiffe à domicile toutes les personnes qui ne peuvent se déplacer. Comme l’investissement ne lui était pas possible, elle avait imaginé faire une demande de dérogation. Las ! Le dossier est si conséquent et dodu qu’elle se trouvait démunie et désemparée.
Soyons clairs : l’intention du législateur est parfaitement légitime et l’accessibilité est un sujet important. On se demande néanmoins pourquoi la puissance publique jette son dévolu sur une coiffeuse dans un village de Vendée quand la plupart des stations de métro parisiennes sont totalement inaccessibles en fauteuil.
Ceci me fait l’effet d’un monstre bureaucratique qui ne sait plus faire la part des choses tant l’accumulation de procédures, à la fois rend la vie des administrés compliquée mais, de surcroît, déresponsabilise les acteurs qui se cachent derrière la règle, la norme, les règlements et les décrets.
Cette situation n’est pas sans rappeler également la Révolution française – tant le parallèle est souvent fait dans les médias – alors que l’Ancien Régime, à cette époque, croulait sous la complexité juridique. En effet, le fonctionnement à l’époque était tout fait de jurisprudence sans que l’État, c’est-à-dire le roi, ne s’en mêle. L’accumulation des strates historiques avait fini par constituer un fatras de règles qui différaient d’un canton à l’autre et rendait toute entreprise périlleuse. La Révolution a balayé ça en inventant la bureaucratie centralisée.
Il se pourrait bien que nous soyons au bout d’un cycle où, à son tour, le centralisme bureaucratique est arrivé à un stade presque ingérable, impossible à réformer, à faire maigrir, comme les « fatbergs », ces monstres de graisse qui hantent les égouts des métropoles.
Les entrepreneurs sont concernés par cette problématique ; et cette problématique nourrit le tumultueux mouvement des gilets jaunes. Pourquoi des voix plus posées ne s’empareraient-elles pas de cette question, et peut-être d’autres, pour faire entendre à propos de questions légitimes, autre chose que le bruit des pavés dans les vitrines ?
Plutôt que de se déclarer « pour » ou « contre », les JD[1] qui ont toujours choisi une voie singulière – ni à droite ni à gauche mais en avant ! – et nourrir à leur tour un conflit avec la puissance publique. Non pas un conflit violent, mais un conflit sain. Ce qui en soit aurait le bénéfice de l’exemplarité, tant les gens qui aujourd’hui se laissent embarquer dans des déprédations, témoignent ainsi de leur incapacité à dire les choses autrement et ne savent pas confronter autrement que par la violence.
[1] JD est le signe pour Jeune Dirigeant, à savoir un adhérent du CJD.
Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/