Démocratie et responsabilité

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Demander l’avis du peuple, dans une démocratie a quelque chose qui va de soi. N’est-ce pas d’ailleurs l’essence de la démocratie que de donner le pouvoir à tous ? Les entreprises elles-mêmes peuvent être tentées par une gouvernance plus participative.

Les revendications exprimées à l’occasion des récents évènements, qu’il s’agisse du grand débat ou des gilets jaunes, font apparaître cependant une difficulté.

Qu’il me soit permis de l’illustrer par une histoire.

Dans un certain pays imaginaire, les familles vivaient de la culture de la vigne et de la fabrication du vin. L’édile local, voulant peut-être créer un courant de solidarité, eut l’idée pour promouvoir sa région, de créer un nouveau vin qui aurait toutes les qualités des différentes productions locales. Il fit édifier une grande barrique puis demanda à chaque famille d’y verser une certaine quantité de son meilleur vin. Tous s’exécutèrent. L’un des chefs de famille cependant, connu d’ailleurs pour sa pingrerie, eut l’idée d’économiser sa part sur le dos de la communauté. Chacun va mettre son propre vin, pensait-il ; nous ne reconnaîtrons pas le nôtre dans le mélange final. Rien ne nous empêche donc de verser de l’eau. Personne n’y verra rien et nous n’aurons pas à souffrir de cet impôt d’un genre nouveau.

Après que tout le monde eut contribué, on se prépara à goûter le résultat. L’édile fit une grande cérémonie, on convoqua les goûteurs les plus réputés, la foule se déplaça. Au son des trompettes, on ouvrit le robinet.

Une eau pure et claire sortit de la barrique. Tout le monde eut la même idée.

Triste pays, pourra-t-on dire, que celui-ci où personne ne semble manifester de générosité et compte sur les autres pour payer à sa place. C’est sans doute que ce peuple de vignerons ne se sentait guère concerné par l’initiative de leur édile ; peut-être même ces gens le suspectaient-ils d’agir pour son propre intérêt et non pour l’intérêt commun. Toujours est-il qu’ils profitèrent d’une situation d’impunité.

Ceci pose la question de savoir ce qui fait que je choisis d’opter pour le bien commun plutôt que pour mon simple intérêt individuel dans mes actions au sein de la société. Surtout que je peux avoir de solides raisons de me montrer égoïste, si par exemple j’estime avoir été lésé ; si je pense que d’autres en profitent davantage que moi et me mange la laine sur le dos. C’est dire alors que les préoccupations individuelles se répondent entre elles.

Ce qui peut arrêter ce processus toxique et redonner de la couleur au vin de l’histoire, c’est la responsabilité. Savoir que je suis comptable devant autrui de mes agissements. Or c’est ce qui manque dans la situation actuelle ; un manque de responsabilité peut-être d’abord de la part des gouvernants – mais avec la complicité des électeurs qui sont capables de réélire des personnes pourtant condamnées – mais aussi maintenant de tous ceux qui, au nom de leur colère, demandent des choses incompatibles entre elles, souvent sous couvert d’anonymat.

Car, au fond, si rien ne m’en empêche, pourquoi ne pas demander la lune ? Qui demande peu reçoit peu, autant faire bonne mesure pour espérer obtenir quelque chose. Surtout quand la demande ne coûte rien. Au contraire, dans un gouvernement avec suffisamment de contre-pouvoirs, alors la mesure devient la règle parce que, en tant que gouvernant, je sais à terme devoir rendre des comptes. C’est en cela que le gouvernement par le peuple pose problème : faute de responsabilité, le pays est comme un bateau sans navigateur. Non parce qu’il faut quelqu’un qui « sache » ; mais parce qu’il faut quelqu’un qui soit responsable.

Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/

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