Deuxième et dernier temps de notre entretien avec Christophe Deldique, autour de ce que peut nous inspirer la vie militaire en ces temps un peu spéciaux.
La vie militaire, l’état esprit qui en découle peuvent être une solution pour l’avenir… Apprendre à se connaître, à se maîtriser, éviter de consommer à outrance, garder un moral d’acier… Qu’en pensez-vous ?
Christophe Deldique : S’il fallait décrire l’état d’esprit militaire, il se déclinerait en quatre mots : abnégation, courage, solidarité et discipline. Cet état d’esprit est d’ailleurs aussi celui d’une large population de fonctionnaires dont le dévouement et la loyauté sont à souligner. Mais ce qui fait de la spécificité militaire une singularité, c’est qu’un militaire accepte de donner sa vie, si nécessaire, pour défendre la nation, et ce en acceptant l’engagement total. Ce catalogue de valeurs militaires auquel il faut y adjoindre l’honneur et le sens de la patrie semble très éloigné du quotidien d’une société civile où l’individu se veut seul juge et maître de ses pensées et de ses actes. Dès lors, notre société civile peut-elle s’en inspirer pour mieux affronter l’impensable comme cette pandémie du COVID-19 ? Pour ma part, je suis devenu un autre homme. Ce lien avec la mer s’inscrit dans l’âme du marin et cela devient un mode de vie. Cet attachement à la mer nécessite une grande ouverture d’esprit et une aptitude à s’adapter à toutes les situations. Souvent confronté à des conditions de vie singulières et difficiles, le sous-marinier puise et nourrit sa force dans l’esprit d’équipage. Dévoué et engagé, il accepte l’incertitude de son environnement, est prêt à affronter le danger, et ce quelles que soient les circonstances. Il sait que sa propre action engage l’ensemble de l’équipage et le sous-marin tout entier. La polyvalence fait partie de son quotidien. Il peut être cuisinier le jour, pompier le soir et barreur de combat la nuit. Tenir un quart, quelles que soient la situation et les difficultés, trouver une solution quoiqu’il arrive, braver l’imprévisible avec les moyens du bord sont sa motivation et sa fierté. Le sous-marinier ne se résigne pas devant la difficulté. Il fait partie d’une communauté humaine avec qui l’on surmonte tempêtes et adversités, avec qui l’on partage échecs et tristesses, joies et succès. On grandit au sein de l’équipage. Auprès de lui, on trouve du soutien. Avec lui, on se prépare au combat. Membre à part entière d’une équipe, le sous-marinier s’efforce de donner le meilleur de lui-même. Ses efforts conjugués à ceux des autres membres de l’équipage rendront possible l’impossible. Faire partie d’un équipage c’est s’enrichir en permanence au contact des autres. Si cohabitation et vie en autarcie exigent souplesse, sociabilité et ouverture d’esprit, elles offrent toujours en retour la garantie d’une grande cohésion et d’une solidarité de tous les instants. Le sous-marinier est au service de la mission. Il est prêt en permanence à partir loin et longtemps. Il agit là où les intérêts supérieurs de la France sont menacés. Il sert sa patrie. Alors la rigueur militaire, une attitude pour l’avenir ? Je répondrais de manière affirmative, mais le vrai conseil que je peux donner aux Français est le suivant : « Soyez penseur et acteur de votre nouvelle vie ».
Honneur, patrie valeur, discipline… Pouvez-nous nous enseigner ce que vous avez appris durant votre parcours ?
Christophe Deldique : La Marine Nationale à laquelle j’appartenais et qui reste toujours ma deuxième famille est organisée autour de ces quatre puissantes vertus immuables. L’honneur commande d’agir avec courage, dignité et loyauté, repères indispensables à la bonne exécution des missions des marins. Il faut être à la fois droit, honnête et doté de discernement. Se fixer pour cap d’être fidèle à une ligne de conduite exemplaire, respecter jusqu’au bout son engagement et se dépasser pour mieux servir sa mission. Le sens de l’honneur se nourrit de l’exemplarité dont chacun fait preuve quotidiennement au gré des missions. Inspirer confiance à ses pairs et à ses supérieurs, gagner l’estime et la considération de l’ensemble de l’équipage devant qui l’on est à la fois responsable et comptable de ses principes, paroles et actions. L’honneur, c’est enfin la fierté d’appartenir à une institution pour servir chaque jour son pays. La patrie fait référence au territoire, à la nation, à une communauté d’hommes et de femmes qui partage une histoire, une langue et une culture communes. En faire partie c’est aussi être attaché aux valeurs de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » et au respect de la dignité de la personne humaine. Fêtes, commémorations, hymne et pavillon nationaux scellent l’âme d’une nation. En France comme à l’étranger, si une menace vient à peser sur les intérêts nationaux, le sentiment d’appartenance s’avive et renforce l’esprit combatif. Servir sa patrie commande de s’engager indépendamment du danger ou des risques. La valeur d’un marin repose à la fois sur ses qualités personnelles et ses aptitudes professionnelles. Non seulement les unes s’ajoutent aux autres, mais elles se complètent pour former un tout. La valeur individuelle de chaque marin requiert des qualités humaines, intellectuelles et relationnelles telles que le courage, l’audace, l’ouverture d’esprit et le respect d’autrui. Le chef donne le sens des missions confiées, décide, fédère, organise, responsabilise et valorise son équipage. Puis il y a l’acquisition de connaissances, la volonté et l’envie de les parfaire par un entraînement rigoureux, afin de s’adapter au mieux aux changements dans un environnement mouvant et complexe. La discipline désigne un ensemble de règles de conduite, de comportements et d’attitudes à observer. Individuelles et collectives, ces règles sont librement acceptées par l’ensemble des marins. Elles favorisent l’action commune et constituent l’une des clés maîtresses du succès collectif. La discipline individuelle permet au marin de se mettre au service de l’équipage en adoptant, au prix d’un entraînement régulier, la meilleure condition physique et mentale, prélude à toute action. L’esprit de discipline inspire et conforte la confiance, incite le marin à s’effacer devant des considérations personnelles et peut si nécessaire le conduire au sacrifice de sa vie. Cela requiert de se conformer à un cadre réglementaire et à un ensemble de contraintes et d’exigences liées au métier.
Vous écrivez sur votre mur Facebook « Aristote disait il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer », que voulez-vous dire par là ?
Christophe Deldique : Pour comprendre le cœur des marins, il faut le relier à la mer. Cette mer si imprévisible qui impose sa loi est une école de la vie. La devise des quatre vertus précitées guide l’action des marins. Elle n’est pas sans susciter des interrogations dans le monde civil notamment chez nos jeunes. Mais quand l’impensable arrive ou la réalité dépasse la fiction alors ces valeurs prennent sens. Il faut apprendre à se connaître individuellement et collectivement, réfléchir au sens de l’engagement, accepter la réalité telle qu’elle est et ne pas être dans le déni, repenser la résilience des territoires, donner du sens aux choses et aux évènements pour s’inscrire dans la durée. Vaste programme ! Dans son livre « Inventer sa vie », Jean-Louis Étienne, parrain de l’association « Un enfant un avenir » présidée par madame Marie-France Roche, indique que « c’est en l’audace que revit l’espoir ». Un appel au renouvellement de soi pour changer notre regard sur le monde. Prenons le temps de bousculer les théories établies. Soyons dans l’humilité, l’incertitude et le droit à l’erreur plutôt que dans l’orgueil, la certitude et la perfection. C’est à ce prix que l’on pourra affronter l’imprévisible et refonder ses repères pour finalement réinventer sa vie individuellement et collectivement. En étant sous-marinier, j’ai appris que la seule certitude au fond est que la vie est une incertitude constante.