Les réseaux sociaux ont donné au vieux phénomène de la rumeur une capacité de prolifération inédite. Vers qui se tourner pour comprendre les mécanismes psychologiques qui amènent à y adhérer ? Des chercheurs en psychologie sociale analysent la façon dont notre cerveau peut s’accrocher à une erreur.
La prolifération des « faits alternatifs », des rumeurs, des fake news, des bobards purs et simples est devenue une préoccupation pour bien des spécialistes en sciences politiques et en communication. Elle déstabilise nos démocraties en hystérisant nos débats. Faisant ainsi le jeu des puissances qui se livrent, contre la démocratie, à une véritable guerre idéologique. Nous savons pertinemment à présent le rôle joué par les réseaux sociaux dans cette épidémie
Illuminés, faux savants, agitateurs, fanatiques
Les nouveaux canaux d’information numériques ont offert visibilité et influence à toute sorte d’illuminés, de faux savants, d’agitateurs et de fanatiques. Sans compter les trolls professionnels dont on ne sait pas toujours qui les agite. Mais à qui s’adresser pour tenter de comprendre comment ça marche et comment on peut y remédier ? Réponse d’Elitsa Dermendzhiyska : aux spécialistes en psychologie sociale. Et pour une étude, publiée par le site Aeon, elle en a interviewé plusieurs à ce sujet.
Ces gens-là travaillent de plus en plus souvent en se livrant à des tests sur des groupes de personnes. Car c’est le meilleur moyen d’étudier comment se forment et comment circulent les informations. Ainsi, un test classique consiste à distribuer à un groupe de personnes une série d’informations concernant le récit d’un incendie fictif. Au début, on les informe qu’il existait, sur les lieux un placard où auraient pu être entreposés des seaux de peinture et des bonbonnes de gaz. On leur dit aussi que l’incendie a provoqué une épaisse fumée noire. Vers la fin, une nouvelle information leur indique que, selon les pompiers, le placard en question était vide. Pourtant, l’avis du groupe est formel : selon 90 % de ses participants, la cause est entendue : ce sont les bonbonnes et les seaux de peinture qui sont responsables de l’incendie. Même si le placard était vide. Conclusion : l’esprit s’accroche à une erreur, lorsque celle-ci s’est installée dès le début de l’histoire. Même si la suite comporte une évidente contradiction.
Les psychologues appellent ça « l’effet d’influence continue ». L’information de départ, même contredite, continue d’influencer notre raisonnement. Si un mythe cadre bien avec « la logique des évènements » telle que notre cerveau l’a construite, il est très difficile de l’en déloger. « Un autre facteur de résistance d’une fausse information à la correction, est la répétition », poursuit Elitsa Dermendzhiyska. À force d’avoir été répétée, une idée acquiert une crédibilité. Et elle s’incruste. Or plus quelque chose nous semble familier, plus nous avons tendance à le croire. C’est l’effet de réitération appelé encore « effet de vérité illusoire ».
Les régimes totalitaires l’avaient fort bien compris
Autres expériences très utiles, celles menées par Stephan Lewandowski, professeur de psychologie à l’Université de Bristol, sur la manière dont nous traitons une information démentie. Soit, par exemple : Non, écouter Mozart lorsque vous êtes enceinte n’augmentera pas le QI de votre enfant à naître. Or, beaucoup de gens n’entendent pas la négation. Il peut même y avoir un effet rebond : être exposé à un fait qui va à l’encontre de leurs croyances personnelles peut renforcer ces convictions… Stephan Lewandowski a dirigé l’édition d’un Manuel de Démystification, The Debunking Handbook 2020, consacré aux climatosceptiques. Un des contributeurs y remarque leu d’effets produits par un simple rappel des faits. « Vous pouvez présenter ces faits à des gens ; ils peuvent les accepter sans que leur accumulation ne provoque une remise en cause de leur scepticisme fondamental sur la réalité du réchauffement climatique. »
Un autre exemple : le politologue britannique Bredan Nyhan a travaillé sur le mythe selon lequel le vaccin contre la grippe provoquerait la grippe. On distribue à un groupe des prospectus émanant d’un centre officiel de prévention des maladies contagieuses, à un autre des informations sur les risques qu’il y a à ne pas se faire vacciner. Ce dernier groupe ne change rien à ses convictions initiales, contrairement au premier.
Pour prendre la pleine mesure du virus de la désinformation, il nous faut reconsidérer l’innocence de l’hôte. Il est facile de se voir soi-même comme victimes des tromperies d’acteurs maléfiques. Il est également tentant de penser qu’être trompé est quelque chose qui ne peut arriver qu’aux autres, aux masses insuffisamment éduquées.
Elitsa Dermendzhiyska
Le niveau d’éducation est de peu d’effet dans le domaine des croyances
« Il est des idées d’une telle absurdité que seuls des intellectuels peuvent y croire », disait George Orwell. Le rôle décisif semble celui joué par les appartenances. Nos motivations sont bien souvent dictées par ce que nous percevons comme étant notre identité. De fait, nous évaluons spontanément les informations que nous recevons en fonction de notre proximité socio-idéologique avec leur source. En réalité, nos croyances visent principalement à nous identifier aux groupes auxquels nous estimons appartenir. Exemple, cette expérience menée par Geoffrey Cohen à Yale. Il présente à un groupe de sujets se reconnaissant comme « de gauche » un projet gouvernemental de formation continue. Le groupe se déclare très favorable. Il précise alors que le Parti démocrate est hostile au projet : 71 % des membres du groupe découvrent alors des motifs de s’y opposer…
Le problème de la post-vérité, ce n’est pas une tache sur le miroir, le problème, c’est que le miroir est une fenêtre ouverte sur une réalité alternative.
Stephan Lewandowski
Croire à l’existence de complots, ou à des médicaments miracles qui seraient – on se demande bien pourquoi – interdits aux médecins du monde entier en lutte contre une épidémie, c’est se vanter de défier les valeurs des élites, à savoir l’éducation, les preuves factuelles, l’expertise.
Crédits : France Culture