A la fin du mois d’avril dernier, c’était le drame. L’agence Fitch dégradait la note de la France à AA — sous l’effet de l’« impasse politique » et des « mouvements sociaux ». Quelle ironie quand on connaît la raison qui a conduit à ces mouvements sociaux, à savoir la réforme des retraites, menée précisément pour rassurer les marchés.
Début juin, la France a peur de nouveau. Cette fois, c’est l’influente agence de notation Standard and Poor’s qui doit émettre un avis sur l’état de la France. Le suspens est à son paroxysme. La France retient son souffle. Et finalement, la nouvelle tombe : Standard and Poor’s a finalement maintenu sa note à AA pour la France. Elle explique sa décision par les réductions prévues des déficits et la réforme récente des retraites par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Quel soulagement ! La vie peut reprendre.
La notation de ces agences est importante. N’en déplaise à M. Coquerel qui, hier sur France Inter, jugeait que ces agences n’avaient aucune influence sur le plan économique. La notation sert d’instrument de mesure pour les investisseurs. Un pays ayant une mauvaise note aura plus de difficulté à emprunter auprès sur les marchés qu’un autre pays avec une notation supérieure. Or, l’économie française se finance aujourd’hui sur les marchés. Les agences de notation détiennent ainsi un pouvoir certain sur la conduite des affaires d’un pays. Dégrader la note d’un pays, c’est ipso facto dégrader les conditions de financement de ce pays et possiblement l’avenir de leurs citoyens.
Certes, les agences de notation ont le droit d’exprimer leurs points de vue sur les politiques économiques menées par les Etats. Les notes qu’elles attribuent ne sont que de simples opinions. Si on s’en tenait là, il n’y aurait rien à redire. Chacun est libre d’exprimer son point de vue en démocratie. C’est même plutôt sain.
Mais le rôle des agences de notation ne se borne pas à émettre des avis, d’ailleurs unanimement reconnus comme peu originaux et entérinant les informations que donnent déjà les marchés financiers. Comme l’écrit Samuel Didier dans un article du Monde, « en Europe comme aux Etats-Unis, les réglementations prudentielles, souvent inscrites dans les textes, rendent contraignant ou simplement rentable pour un grand nombre d’institutions financières de recourir aux notations des agences. En somme, les instances de régulation ont confié le boulot aux agences et l’ensemble des acteurs financiers s’est contenté de faire le service minimum, malgré la supériorité écrasante des moyens à leur disposition face aux quelques centaines d’analystes dont disposent les plus grandes agences ». Pour le dire autrement, des institutions ont délégué leur travail à ces agences qui prélèvent une rente lucrative sur la majeure partie des opérations d’appel aux marchés de la dette, au nom d’une délégation tacite de service octroyée par les régulateurs publics.
On s’étonnera tout de même que des officines privées disposent d’autant de pouvoir sur les Etats et sur les peuples. Il paraît que nous vivons en démocratie. mais sommes-nous toujours en démocratie quand une poignée d’« experts » (ou se réclamant comme tels) pond une note sur un coin de table, engageant ainsi l’avenir des Etats ? Il y aurait peut-être ici matière à clarification.
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