Dernière partie de notre rencontre avec Dominique Méda.
On accuse le capitalisme d’être la cause du péril écologique, non sans raison. Les anticapitalistes – en particulier l’économiste Frédéric Lordon, affirme que le problème, ce n’est pas l’« homme », mais le capitalisme. Le capitalisme selon eux est irréformable et qu’il faut le détruire. Etes-vous en phase avec cette radicalité ? Est-il possible selon vous de mettre le capitalisme au service des êtres humains et de la vie ?
Dominique Méda : En effet, de nombreux auteurs (dont aussi Jason Moore, Christian Bonneuil…) rappellent que ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais quelques pays qui ont déployé le mode d’être capitaliste sur toute la surface de la terre, notamment au début, l’Angleterre et les Etats-Unis. Je voudrais quand même juste rappeler que les pays non capitalistes, et en particulier l’URSS, ont fait au moins autant que les pays capitalistes en matière de pollution, d’émissions de gaz à effet de serre et de poursuite d’objectifs purement quantitatifs d’augmentation de la production.
Je me demande si ce n’est pas plus profondément notre désir d’humanisation de la nature, de mise en forme du monde sous la forme de l’usage pour l’humain qui explique la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Je pense donc que l’explication est à chercher au-delà du capitalisme, dans la poursuite du « toujours plus » dont parlait Bertrand de Jouvenel dans Arcadie. Essais sur le mieux-vivre, et en fait la poursuite de la puissance. J’irai même encore plus loin : je me demande — c’est la thèse que je développe dans Qu’est-ce que la richesse ? et dans La Mystique de la croissance — si ce n’est pas plus profondément notre désir d’humanisation de la nature, de mise en forme du monde sous la forme de l’usage pour l’humain qui explique la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Adam Smith a aussi une très belle explication : il dit que nous admirons les riches et voulons les imiter et que c’est ce qui explique nos désirs infinis de possession. Il y voit à l’œuvre de la providence cherchant à rétablir une forme d’égalité entre les humains. Mais si cette providence n’existe pas…
Au cours de votre carrière, vous avez régulièrement rencontré le CJD pour faire part de vos positions, échanger… Quel regard portez-vous sur ce mouvement patronal ?
Dominique Méda : Je trouve vraiment intéressant et important qu’il existe un mouvement patronal autre que les deux que nous connaissons, MEDEF et CPME. Je regrette que ce mouvement ne soit pas représentatif : nous avons absolument besoin d’une autre voix patronale, et même entrepreneuriale. Aujourd’hui l’entrepreneuriat est mis à toutes les sauces. On confond auto-emploi et entrepreneur. J’aime beaucoup l’article de Nadine Levratto et Evelyne Serverin qui remet les pendules à l’heure et met en évidence les différences majeures entre un vrai entrepreneur ou un vrai travailleur indépendant et ces statuts dégradés qui ont été inventés pour sortir les individus du salariat à moindres frais. On a absolument besoin d’une réflexion sur ce qu’est une entreprise aujourd’hui et sur la manière dont celle-ci peut être démocratiquement organisée, sujets qui ont toujours été au cœur de la réflexion du CJD comme la qualité des produits et de l’emploi ou la question écologique.
Si vous aviez un conseil à donner à un dirigeant de TPE PME ?
Dominique Méda : J’aurais envie de lui dire de miser à fond sur la voie de la démocratisation et de la qualité : pas celle de « l’entreprise libérée » qui trop souvent sert de paravent à la suppression de l’encadrement intermédiaire, mais celle de la cogestion où la place réservée aux salariés est déterminante. Si de nombreuses expérimentations s’avéraient concluantes, c’est tout notre modèle qui pourrait basculer.