Alors que le gouvernement cherche à justifier le recul de l’âge de la retraite à 64 ans face à une France qui rejette aux trois quarts cette réforme, la jeunesse s’en est mêlée en manifestant à Paris le 21 janvier dernier dans la bonne humeur. Si des éditorialistes rétrogrades nous expliquent que les jeunes n’ont pas leur mot à dire sur les retraites, c’est au contraire les premiers concernés par cette réforme productiviste qui s’inscrit à contre-courant de l’avenir écologique et social souhaitable.
Une réforme néolibérale qui menace notre modèle social
« Franchement ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal de départ en retraite. Quand on est soi-même en difficulté, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! » déclarait Emmanuel Macron en avril 2019. Des centaines de milliards d’euros d’aides publiques versées aux entreprises plus tard, notre président a changé d’avis et cherche à faire payer aux travailleurs la baisse du coût du travail en France. L’idée est en fait toujours la même depuis les années 1980’ : il faut baisser les taxes sur les grandes entreprises pour que le travail soit moins cher, ce qui permettra de gagner des parts de marché. Ce qui guide l’action du président ici c’est donc l’obsession du néolibéralisme pour les grands groupes, celle d’être compétitif dans un monde de concurrence hobbesien exacerbée.
Or contrairement aux dires du gouvernement, notre système de retraite par répartition est excédentaire et son équilibre ne présente que des risques mineurs à l’avenir. Comme le rappelait il y a quelque temps sur BFM Business Gilles Raveaud « il n’y a pas de problème de financement des retraites. Ce système est la plus grande réussite de l’histoire de la France parce qu’avant quand on était vieux soit on avait du patrimoine soit on était pauvre ». L’économiste hétérodoxe rappelle avec justesse qu’entre le fond Jospin, celui des retraites complémentaires et celui de la CADES, c’est plus de 170 milliards de réserve que nous avons sous la main en cas de déficit. De plus, repousser l’âge de la retraite serait loin d’être la seule solution en cas de pépin systémique selon lui, nous pourrions augmenter les cotisations ou bien mener une politique de l’emploi moins tournée vers la précarisation du travail.
Ajoutons à cela que cette réforme de retraites, s’inscrivant dans un contexte généralisé d’appauvrissement des services publics, est aussi éminemment inégalitaire. En effet, à 62 ans, un quart des hommes les plus pauvres en France sont déjà morts. Il faut attendre l’âge de 80 ans pour que cette proportion soit atteinte pour les 5 % les plus riches, soit 18 ans de différence… En cas de réforme, une part grandissante des plus pauvres auront cotisé toute leur vie pour rien et mourront avant même de toucher leur première pension. Si ce triste tableau suffirait à convaincre la jeunesse de s’en mêler pour éviter de vivre une existence « métro, boulot, tombeau », c’est l’accélération de la destruction du Vivant et des relations sociales que promeut cette réforme qui la motive également à la combattre.
Une réforme alliant destruction du Vivant et marchandisation des relations humaines
Cette réforme des retraites a en effet le triste mérite d’allier régression sociale et dévastation de l’environnement, comme c’est bien souvent le cas lors des réformes dont l’unique but est une aveugle croissance économique. En effet, l’accroissement du temps de travail a un coût écologique certain, puisque la hausse du PIB est corrélée à la destruction du Vivant. Ainsi, travailler plus revient à polluer plus. Encore une fois, ce qui est absent de cette réforme productiviste, c’est le pourquoi. Pourquoi travailler plus finalement ? C’est cette question que pose avec insistance une jeunesse plus que jamais en quête de sens.
Travailler plus, ce n’est certainement pas pour réduire les inégalités. La multiplication des gains de productivité de nos économies modernes depuis des décennies nous permet de produire largement assez pour tous. Selon la Banque de France, entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés a baissé significativement de 59 à 54 % alors que la part revenant aux actionnaires a triplé, passant de 5,2 à 15,8 %. En conséquence 42 individus totalisent aujourd’hui le pactole de 544,5 milliards en France, alors qu’on sait que plus de 300 000 personnes vivent sans domicile fixe et que notre pays compte 8,9 millions de pauvres. Dans un pays aussi riche que le nôtre, la misère sociale est une conséquence de la très inégale répartition des richesses et non d’un défaut de production.
Travailler plus, ce n’est évidemment pas non plus pour être plus heureux. Dans une perspective néolibérale, le temps qui n’est pas dédié au travail est finalement un temps perdu, de paresse et d’oisiveté qui ne produit rien pour faire croître le PIB. Cette vision marchande de la vie n’est pas celle que la jeunesse a choisi de suivre. Le temps libéré de la contrainte capitaliste est au contraire un temps pour décider seul de ce qu’on veut faire en conscience : peindre, glander, voir ses amis, s’instruire et même faire de la politique.
Travailler plus enfin, ce n’est absolument pas permettre une plus grande cohésion sociale, alors même que cette cohésion nous est vitale face aux effondrements environnementaux à venir. Le temps est à la démarchandisation, et non à la transformation de toute chose en opportunité commerciale. Si les grands-parents restent travailler deux ans de plus et n’ont plus le temps de s’occuper de leurs petits enfants, faudra-t-il payer quelqu’un pour le faire et ainsi dévoyer ce don de soi en échange marchand ? Et d’ailleurs saviez-vous que plus de la moitié des associations sont tenues par des retraités ? Allonger l’âge de départ à la retraite, c’est démanteler le tissu social.
Une réforme à contre-courant de l’avenir de la décroissance prospère
« En 1982 l’histoire avait bien commencé, diminution du temps de travail, 5e semaine de congés payés, 60 ans retraites méritée pour l’ensemble des salariés. c’est essentiel, c’est ça le progrès, auquel aspire la société » : cette reprise de la chanson la Quête du rappeur de Caen Orelsan émanant du cortège Picardie Debout lors de la manifestation des jeunes contre la réforme des retraites du samedi 21 janvier résume parfaitement l’essence rétrograde de cette réforme des retraites. Loin de vouloir travailler plus pour produire plus et détruire plus, de plus en plus de jeunes d’aujourd’hui aspirent à un avenir radicalement différent dans lequel le temps arraché au travail n’est pas fustigé, mais au contraire valorisé et apprécié à sa juste valeur.
Beaucoup de jeunes le savent : l’avenir est à la décroissance prospère, car il nous faut revenir sous les limites planétaires pour assurer la pérennité des conditions de vie matérielles des humains sur Terre. Ce n’est pas une question idéologique, mais de bon sens. Cette décroissance implique de partager plus, de travailler moins et de faire sortir de la marchandisation de nombreux services qui n’auraient jamais dû y entrer. Le travail perdurera ainsi, mais sous une forme différente, avec une plus grande proximité avec les territoires, une nouvelle gouvernance plus horizontale et une recherche de sens concret.
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