Quelle stratégie pour bifurquer et participer activement à la transformation du système économique actuel ? Faut-il rompre et s’opposer frontalement ou bien au contraire le changer de l’intérieur ? Ces questions sont au cœur de la Rencontre du Réseau qui s’est déroulée vendredi dernier à Paris. Une chose est sûre : les réponses sont dans les mains de la jeunesse, notamment dans celles des diplômes des grandes écoles.
Conformément aux recommandations du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’Accord de Paris préconise une limitation de l’augmentation de la température terrestre moyenne à 1.5 degré. Dans les faits, cet objectif requiert l’atteinte de la neutralité carbone par les pays signataires, c’est-à-dire un « équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone de l’atmosphère par les puits de carbone ». C’est dans ce contexte que la France a adopté, en 2015, la première Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), qui vise une réduction de 75 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050 par rapport au niveau d’émissions de 1990. Pour atteindre cet objectif, une transformation profonde des modes de vie, de consommation et de production est nécessaire. Nous savons aujourd’hui que les petits gestes ne suffiront pas. Il est en effet avéré que les citoyens n’ont entre leurs mains qu’un quart des réductions des émissions de GES nécessaires à la neutralité carbone. Pour faire face à l’impératif de changement systémique, deux modes de mobilisation ont été mis en lumière lors des cérémonies de remise des diplômes des étudiants d’AgroParisTech et de HEC cette année : déserter pour les uns et transformer de l’intérieur pour les autres.
Ce discours leur a valu de nombreuses critiques, dont celle de Sébastien Windsor, Président des Chambres d’agriculture (APCA) pour qui déserter s’apparente à « partir, s’isoler du reste du monde […] refuser d’accompagner la société dans sa transformation ».Pour une partie de l’opinion publique, le discours des ingénieurs d’AgroParisTech serait (trop ?) radical et contre-productif. En comparaison, le discours porté par HEC Transition invitait à « utiliser les portes ouvertes » dont les diplômés bénéficient pour agir de l’intérieur, et a reçu un accueil plus clément.
Déserter ou infiltrer, et si les modes d’action étaient complémentaires ?
Et si, cependant, en appelant à déserter le système actuel, les étudiants d’AgroParisTech ne faisaient ni plus ni moins que nous inciter à trouver un nouveau modèle, en accord avec le vivant, et réellement durable ? Et si, finalement, même s’ils ne participaient pas de manière « active », à la transformation du système existant, ils y contribuaient en mettant à mal l’imaginaire collectif dominant ? Et si, en nous autorisant à penser le monde d’après, ils en étaient finalement les pionniers ?
En réalité, les deux modes de mobilisation sont complémentaires. Ceux qui bifurquent permettent d’amener une sensibilisation publique sur les enjeux de transition, qui pourra par la suite être utilisée par celles et ceux qui travaillent de l’intérieur.
Dès lors, la question à poser n’est plus « Dois-je déserter ou adhérer ? », mais « Que puis-je faire, compte tenu de mes aspirations, de mes opportunités et de mes capacités ? »
Comment choisir son moyen de mobilisation ?
La transition écologique concerne tous les secteurs de l’économie. Nous avons, et aurons, besoin de toutes les forces vives. Reste à chacune et chacun d’opter pour son mode de bifurcation.
L’enjeu, in fine, sera d’accompagner au mieux les jeunes actifs dans le choix et le déploiement de leur méthode d’action pour conduire la transition.
Cela commence nécessairement par la quête du sens que chacune et chacun souhaite donner à son activité professionnelle : la recherche d’adéquation entre ses valeurs et celles de son organisme employeur potentiel.
Pour ceux qui choisissent d’agir de l’intérieur, le mouvement Pour un réveil écologique met par exemple à disposition les questions clés à se poser pour guider sa réflexion : « Quelle est l’utilité et la finalité des activités menées », « Quelle prise en compte des enjeux écologiques dans le travail des salariés ? », « Quelle intégration des enjeux environnementaux dans la stratégie financière ? »
L’université de Barcelone vient d’ailleurs de faire un pas en ce sens, à la suite de l’occupation de ses locaux par des activistes climatiques de l’organisation « End Fossil Barcelona » durant sept jours consécutifs. Dès la rentrée 2024, les 14 000 étudiants de l’université devront suivre un module de cours sur la crise climatique. Les 6 000 membres du personnel académique devront également suivre une formation sur les enjeux climatiques.
Les enjeux d’orientation sont également cruciaux. Comment montrer que d’autres voies sont possibles ? Comment mettre en avant des récits en marge du système conventionnel ou qui agissent pour le transformer ? Quels secteurs d’activités sont mis en avant durant les career fairs et lesquels ne le sont pas ? Comment repenser les liens avec les entreprises en termes de financement de chairs, de masters, qui pourraient avoir tendance à perpétuer les récits de carrière conventionnels ? Ce dernier point était d’ailleurs une des revendications de « End Fossil Barcelona » qui demandait le rejet des financements par le groupe pétrolier espagnol Repsol et d’autres acteurs qui bénéficient des énergies fossiles. Elle a été refusée par l’Université de Barcelone.
En matière d’action écologique donc, chacune et chacun, dans différentes périodes de sa vie, pourront être amenés à choisir la manière dont elle ou il passe à l’action. La clef pour agir ? S’informer et se former, afin d’amorcer les transformations nécessaires à la bifurcation écologique, peu importe la méthode privilégiée.