Les Mods et les Rockers sont devenus deux groupes emblématiques de la jeunesse au Royaume-Uni dans les années 1960, chacun avec son style, ses valeurs, sa musique. Deux sous-cultures qui ont été un objet d’étude pour le sociologue britannique Stanley Cohen, étude dont les enseignements sont précieux à l’époque dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Les Mods, abréviation de « modernistes », ont émergé au début des années 1960. Principalement issus des classes moyennes des villes, ils étaient élégants et sophistiqués. Leur style était influencé par la mode italienne et française : costumes sur mesure, chemises boutonnées, chaussures élégantes… Les Mods étaient passionnés par le R&B américain, le jazz, le ska, et plus tard, la musique soul. Ils fréquentaient des clubs de danse et des cafés, et la culture Mod était intimement liée à la scène musicale émergente, avec des groupes comme The Who et The Small Faces. Les scooters étaient un élément emblématique de la culture Mod.
Les Rockers quant à eux étaient une évolution de la sous-culture des « Teddy Boys » des années 1950. Ils venaient de la classe ouvrière et s’inspiraient tant sur le plan musical que vestimentaire, du rock’n’roll américain des années 1950. Contrairement aux Mods, les Rockers — en authentiques rebelles — préféraient les motos, en particulier les marques britanniques comme Triumph, BSA et Norton.
Les conflits entre les Mods et les Rockers sont devenus célèbres dans le milieu des années 1960, notamment lors des affrontements sur les plages de villes balnéaires comme Brighton, Margate et Clacton. Ces événements ont largement été rapportés par les médias de l’époque.
Des événements montés en épingle
L’analyse du sociologue britannique Stanley Cohen sur les phénomènes des Mods et des Rockers, telle qu’elle est présentée dans son ouvrage Folk Devils and Moral Panics de 1972, explore la manière dont les médias et la société réagissent aux groupes de jeunes perçus comme déviants. Elle apporte des enseignements précieux sur la manière dont certains événements anodins sont montés en épingle par les médias.
Les médias ont fait des deux groupes des « démons populaires ». Ces groupes ont été présentés comme des symboles de décadence, de violence et de déviance, suscitant la peur auprès de la population. Des violences isolées sont présentées comme des menaces à l’ordre social et moral. Une représentation complètement disproportionnée par rapport à la réalité des comportements. Les médias, loin de se contenter de rapporter des faits, jouent un rôle actif dans la construction de la réalité sociale, en façonnant les attitudes et les perceptions de l’opinion.
Un lourd héritage
Autre élément important soulevé par le sociologue : le cycle de la panique morale. Une panique morale émerge, s’amplifie et finalement retombe lentement. Ce cycle commence par la manière (le cadrage) dont un incident ou un groupe est présenté, puis par une réaction publique et une action des autorités, avant de finalement perdre de son intensité ou de se déplacer vers un nouveau « démon populaire ».
Mais malgré la diminution de leur intensité, les paniques morales laissent souvent derrière elles un lourd héritage, en matière de stigmatisation des groupes ciblés, de restriction des libertés, de surveillance accrue, de répression judiciaire. Plus de cinquante ans après ses travaux, la grille de lecture de Stanley Cohen reste on ne peut plus pertinente pour décrypter l’actualité, vous ne trouvez pas ?