La loi immigration a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois, pour être finalement promulguée le 26 janvier 2024. Au-delà des considérations morales et politiques, qu’est-ce que cela change concrètement pour les employeurs ? La réponse avec Delphine Monnier, avocate associée au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.
Qu’est-ce que cette nouvelle loi change pour l’entreprise ?
Les statistiques Pôle Emploi montrent que plus d’un recrutement sur deux est désormais jugé « difficile » par les employeurs (58 %), du fait du manque de candidats et de l’inadéquation de leur profil. Partant de ce constat, la loi immigration avait pour but de simplifier le séjour pour exercer dans des métiers en tension et de poursuivre la régularisation par le travail.
La régularisation « de plein droit » prévue dans le projet de loi initial du gouvernement lorsque les travailleurs exercent des activités professionnelles dans des métiers et zones géographiques caractérisées par des difficultés de recrutement a été supprimée. La loi immigration est finalement durcie et laisse place à beaucoup d’incertitudes pour les entreprises souhaitant recourir à l’embauche d’étrangers. En effet, si un nouveau mécanisme d’admission exceptionnelle au séjour permet désormais la délivrance d’une carte de séjour temporaire nommée « travailleur temporaire », « salarié », les conditions pour régulariser les travailleurs sans-papiers sont presque illusoires. Les conditions d’éligibilité sont durcies en exigeant d’abord une activité professionnelle de 12 mois au cours des 24 derniers mois, au lieu des 8 mois prévus initialement par l’exécutif, et justifiant d’une résidence d’au moins trois années en France.
La liste des métiers et zones géographiques sous tension de recrutement sera actualisée une fois par an et est établie par l’autorité administrative après consultation des organisations syndicales représentatives d’employeurs et de salariés. Nous pouvons cependant constater la mise en place d’une carte de séjour pluriannuelle « talent-profession médicale et de pharmacie » d’une durée de 4 ans afin de répondre aux besoins de recrutement dans le secteur de la santé, s’adressant à toutes les spécialités médicales, aux sage-femmes, chirurgiens-dentistes et aux pharmaciens (PADHUE). De même, les cartes de séjour « talent » destinées aux salariés qualifiés et aux porteurs de projet sont simplifiées. En effet, la mention « passeport talent » est simplement remplacée par « talent » et trois catégories de cartes délivrées à des salariés qualifiés (diplômés de Master, jeune entreprise innovent, salariés en mission) sont fusionnées sous la dénomination de « talent-salarié-qualifié ».
La création de ces titres visait un double objectif : réunir les titres en faveur de l’attractivité du territoire « sous une même appellation pour les rendre plus lisibles et élargir les critères d’accès afin que 10 000 « passeports talent » soient délivrés chaque année.
Afin de lutter contre le travail illégal des travailleurs dits « des plateformes », la loi conditionne l’accès au statut d’auto-entrepreneur à la détention d’une carte autorisant à travailler sous ce statut.
Enfin, les conditions sont aussi renforcées concernant l’obtention de la carte pluriannuelle. L’étranger devra désormais, en plus des critères déjà établis par la loi, avoir une connaissance minimale de la langue française (niveau A 2). Antérieurement, aucune obligation de résultat n’était prévue dans la mesure où un simple d’apprentissage du français suffisait. Ces mesures seront applicables après décret, au plus tard début 2026.
Quelles sont les nouvelles obligations des employeurs ?
J’attirerais l’attention des employeurs sur deux points principalement.
D’abord la contribution des employeurs à la formation des étrangers. Plusieurs dispositions du Code du travail sont modifiées afin d’améliorer la participation de l’employeur à la formation en français dans l’objectif de favoriser l’insertion professionnelle. Dans le cadre du développement des compétences, l’employeur peut proposer aux salariés allophones des formations afin de leur permettre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau qui sera déterminé par décret (Article L6321-1 du Code du travail). Concernant les salariés allophones signataires d’un contrat d’intégration républicaine et engagés dans un parcours de formation linguistique visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret, les actions permettant la poursuite de celui-ci constituent un temps de travail effectif, dans la limite d’une durée fixée par décret en Conseil d’État, et donnent lieu au maintien de la rémunération par l’employeur pendant leur réalisation.
Ensuite, les sanctions en cas de non-respect des règles relatives à l’emploi des salariés étrangers. Lorsque l’étranger sera autorisé à séjourner en France, il ne pourra pas automatiquement exercer une activité professionnelle. Pour rappel, il est nécessaire d’obtenir une autorisation de travail délivrée par l’autorité administrative après avoir vérifié la réalité de l’activité alléguée par l’étranger, conformément à l’article L.5221-5 du Code du travail : « vérification par tout moyen de l’activité alléguée ».
Il existe un réel manque de précisions quant aux modalités de contrôle « par tout moyen » de la réalité de « l’activité alléguée » par l’étranger et le texte ne précise pas les contrôles auxquels les employeurs pourraient être soumis.
La régularisation semble donc dépendre de l’implication de l’employeur, même si la loi prétend établir un dispositif sans son intervention directe. Or, on se demande comment les contrôles pourraient être effectués sans son implication, lui-même étant touché par la mise en place de ce dispositif.
L’employeur d’un étranger sans autorisation de travail en France s’expose à des sanctions pénales et administratives. Parmi les sanctions prévues, la loi remplace la contribution spéciale par « une amende administrative » et modifie les règles applicables à cette sanction. Le montant de l’amende est au plus égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti, avec possibilité de majoration en cas de récidive jusqu’à 15 000 fois ce taux. L’amende sera appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés, avec un plafonnement des sanctions prévu pour éviter des cumuls excessifs. Le montant de l’amende pénale encourue par l’employeur qui emploie un étranger non muni d’une autorisation l’autorisant à exercer en France passe de 15 000 euros à 30 000 euros, et de 100 000 euros à 200 000 euros lorsque l’infraction est commise en bande organisée conformément à l’article L.8256-2 du Code du travail.
Sources :
- Dalloz Actualité Social — 29 janvier 2024 — « Loi immigration : ce qui change pour l’emploi des travailleurs étrangers »
- Dalloz Actualité — 02 février 2023 — « Loi immigration : le contenu de la nouvelle réforme »
- Culture RH « Comment embaucher un salarié étranger : point sur vos démarches »
- Net PME - 5 février 2024 — « Loi immigration : Ce qui change pour l’emploi des travailleurs étrangers » par Matthieu Barry
- Capital « Loi immigration : Le patronat s’inquiète des conséquences économiques »
- Rapport législatif n° 433 déposé le 15 mars 2023
Crédit photo : Tingey Injury Law Firm – Unsplash