Le modèle OCEAN de Facebook

A l’ère numérique, l’or, ce sont les données personnelles. Et dans ce domaine, Facebook se révèle un immense outil de collecte. Mais Facebook se distingue par sa façon de les utiliser par le biais d’un outil de profilage psychologique sophistiqué. Cette technologie, qui repose sur l’analyse approfondie des comportements en ligne des utilisateurs, soulève à la fois admiration pour son ingéniosité et inquiétudes quant à ses implications éthiques.

Au cœur de ce système se trouve en effet un modèle psychométrique connu sous le nom de OCEAN, également appelé le « Big Five ». Ce modèle identifie cinq traits de personnalité fondamentaux :

  • l’Ouverture à l’expérience reflète la curiosité intellectuelle, la créativité et l’appréciation de nouvelles idées,
  • la Conscience caractérise le degré d’organisation, de fiabilité et de détermination d’un individu,
  • l’Extraversion mesure la sociabilité, l’assertivité et la recherche de stimulations externes,
  • l’Agréabilité englobe des qualités telles que la compassion, la coopération et la confiance envers les autres,
  • le Névrosisme enfin (parfois appelé Stabilité émotionnelle) évalue la tendance à éprouver des émotions négatives et la sensibilité au stress.

L’outil de Facebook utilise ces dimensions pour catégoriser ses utilisateurs avec une précision remarquable en se basant sur l’analyse minutieuse d’une multitude de données : les « likes », les partages, les commentaires, mais aussi le type de contenu consulté, la fréquence d’utilisation de la plateforme, et même la vitesse de défilement sur le fil d’actualité. Chaque interaction est interprétée comme un indice révélateur de la personnalité de l’utilisateur.

La puissance de cet outil réside dans sa capacité à établir des corrélations entre ces comportements numériques et les traits de personnalité. Par exemple, un utilisateur qui « like » fréquemment des pages liées à l’art ou à la littérature pourrait être classé comme ayant un haut niveau d’Ouverture à l’expérience. De même, une personne très active dans les groupes de discussion pourrait être identifiée comme Extravertie.

L’objectif principal de ce profilage est de permettre une personnalisation poussée de l’expérience utilisateur. En comprenant mieux la psychologie de ses utilisateurs, Facebook peut adapter le contenu affiché, les publicités proposées, et même la manière dont les informations sont présentées. Cette approche sur mesure vise à maximiser l’engagement des utilisateurs et, par extension, les revenus publicitaires de la plateforme.

Cependant, l’utilisation de cet outil soulève de nombreuses questions éthiques. La principale préoccupation concerne le respect de la vie privée. Bien que Facebook affirme utiliser ces données de manière agrégée et anonymisée, la profondeur de l’analyse psychologique réalisée est perçue par beaucoup comme une intrusion dans l’intimité mentale des individus.

De plus, la possibilité de manipuler les émotions et les comportements des utilisateurs grâce à ces informations psychologiques soulève des inquiétudes légitimes. Le risque de voir cette technologie utilisée à des fins de manipulation politique ou commerciale est réel, comme l’a démontré le scandale Cambridge Analytica en 2018 dont nous avons parlé récemment dans un précédent article.

La précision de cet outil de profilage pose également la question de l’équité algorithmique. Il existe un risque de renforcement des biais existants et de création de « bulles de filtre » où les utilisateurs ne sont exposés qu’à des contenus correspondant à leur profil psychologique, limitant ainsi la diversité des points de vue et des expériences.

Facebook affirme utiliser cette technologie de manière responsable et dans l’intérêt de ses utilisateurs. L’entreprise met en avant les avantages d’une expérience personnalisée et souligne les mesures de protection mises en place pour préserver la confidentialité des données. Néanmoins, la transparence reste un défi majeur. La complexité des algorithmes utilisés et le fait que Facebook soit une entreprise privée puissante rendent difficile une évaluation indépendante de ses impacts réels sur la société et les individus.

Crédit photo : Conor Sexton – Unsplash

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