Cet attrait semble tellement irrésistible qu’on le trouve classé parmi les biais cognitifs, ces distorsions systématiques dans la manière dont notre cerveau traite l’information qui nous conduisent à des jugements ou des décisions trompeurs et souvent irrationnels. Avez-vous déjà entendu parler du biais de pro-innovation ?
Dès leur apparition, les réseaux sociaux ont été accueillis avec enthousiasme, vantés pour leur potentiel de connexion sociale et d’expression. Ils allaient changer le monde… positivement. Peu d’attention a été accordée, dans les premières années, aux effets négatifs potentiels : exposition excessive des données personnelles, propagation de fausses informations, ou encore impact sur la santé mentale. Cet engouement s’explique par un biais bien connu, théorisé par Everett M. Rogers : le biais de pro-innovation.
Ce biais selon Everett Rogers, sociologue américain spécialisé dans l’étude de la diffusion des innovations, se caractérise par une tendance à favoriser systématiquement les nouvelles technologies et innovations, tout en sous-estimant, voire en négligeant, leurs impacts négatifs ou leurs limites. Everett Rogers, a consacré une grande partie de ses recherches à l’exploration de ce phénomène ; il décrit les mécanismes par lesquels les nouvelles idées et technologies se propagent au sein des sociétés, et il identifie les facteurs qui influencent leur adoption. Ce processus est souvent marqué par un enthousiasme qui mériterait qu’on l’interroge.
Le processus de diffusion
Everett Rogers a formulé un modèle en cinq étapes pour expliquer comment les innovations se propagent. Ce modèle comprend la connaissance, la persuasion, la décision, la mise en œuvre et la confirmation. Ce processus de diffusion met en lumière la manière dont le biais de pro-innovation influence chaque étape, en particulier la persuasion et la décision.
Lorsqu’une innovation apparaît, les individus et les groupes sont souvent influencés par des facteurs sociaux et par les stratégies de communication, qui véhiculent une image positive et séduisante de la nouveauté. Everett Rogers a identifié des catégories de personnes en fonction de leur vitesse d’adoption : les innovateurs, les « adopteurs » précoces, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires. Les innovateurs et les « adopteurs » précoces, influencés par le biais de pro-innovation, sont les premiers à adopter les nouvelles technologies. Et ils encouragent souvent d’autres à faire de même…
Les recherches d’Everett Rogers montrent que plusieurs facteurs peuvent favoriser l’apparition du biais de pro-innovation. Le premier est la visibilité des bénéfices : une innovation dont les avantages sont immédiatement perceptibles et facilement compréhensibles a plus de chances d’être adoptée rapidement. Par exemple, les smartphones ont rapidement été intégrés dans la vie quotidienne grâce à leurs nombreuses fonctionnalités pratiques et leur accessibilité.
Le second facteur est la pression sociale. Everett Rogers explique que les groupes sociaux influencent fortement l’adoption des innovations. Lorsque des leaders d’opinion ou des célébrités promeuvent une innovation, celle-ci acquiert une crédibilité et une attractivité accrues, qui peuvent conduire à une adoption sans prise de recul. Le marketing joue également un rôle important, en façonnant une perception positive et en atténuant les risques associés à l’innovation.
Une approche critique et équilibrée
Everett Rogers souligne que l’adoption non critique des innovations pouvait entraîner des conséquences inattendues. Par exemple, dans le domaine de la santé publique, des innovations adoptées sans une évaluation complète de leurs effets secondaires potentiels. Même si ces innovations apportent des avantages considérables, une adoption trop rapide, peut conduire à des répercussions négatives. L’impact environnemental des technologies numériques en apporte l’illustration. L’enthousiasme pour les nouvelles technologies de communication et de divertissement, comme les appareils connectés ou les centres de données, a souvent éclipsé les préoccupations concernant leur empreinte carbone. Everett Rogers a averti que, sans un travail d’évaluation qui ne fait pas l’impasse sur les externalités négatives, les sociétés risquent d’adopter des innovations qui ne participent pas à une logique de durabilité.
Crédit photo : Skye Studios – Unsplash