Dans un monde en perpétuel bouleversement, pour ne pas dire chaotique, nous sommes enjoints d’être performant et, quand nous plions, à être solides ou résilients. Contrairement à ces notions souvent mises en avant, la robustesse se distingue par sa capacité à rester fonctionnelle et stable tout en intégrant une flexibilité intrinsèque. Pour Olivier Hamant, chercheur en biologie et biophysique et auteur de trois essais, le concept de robustesse nous permet de repenser la manière de faire face aux défis contemporains.
Un roseau qui plie, mais ne rompt pas. Voilà qui illustre la robustesse. Là où la solidité nous renvoie à un objet rigide qui résiste aux forces extérieures, mais qui potentiellement peut casser, la robustesse offre une réponse adaptative face aux perturbations. Flexible, elle permet à un objet de maintenir sa structure.
La résilience quant à elle est survalorisée dans nos sociétés néolibérales. Pendant et après la pandémie de COVID19, elle a été le sujet de nombreux articles, la notion clé qui allait nous permettre le retour à la normale. Il fallait se relever du choc qui avait mis nos sociétés à mal pendant des mois. Pourtant, Hamant critique cette vision, qu’il considère comme une dérive de la sélection darwinienne : une pression constante à rester debout coûte que coûte. La politique japonaise de résilience post-Fukushima, par exemple, illustre les limites d’une résilience mal comprise, où l’adaptation aux radiations a été encouragée sans une réelle prise en compte des conséquences humaines et écologiques.
La performance économique : efficacité et fragilité
Pour Hamant, la robustesse ne se réduit pas à une adaptation sous pression. Elle s’inscrit davantage dans une logique préventive, offrant des marges de manœuvre et une souplesse qui permettent d’absorber les variations sans compromettre l’ensemble du système. Contrairement à la performance, qui tend vers l’optimisation extrême, la robustesse exige une certaine inefficacité apparente, laissant place à des redondances et des espaces de liberté.
En économie, la performance repose sur la quête d’efficacité (atteinte des objectifs) et d’efficience (minimisation des moyens). Elle vise l’optimisation des ressources, la réduction des coûts et la maximisation des résultats, souvent mesurée par des indicateurs de rentabilité ou de croissance. « La performance, en s’autojustifiant grâce à des indicateurs, écrase d’autres valeurs et nourrit une forme de pensée réductionniste toxique »[1]. Cette recherche de performance génère des externalités négatives, aussi bien sur le plan environnemental que social. Olivier Hamant dénonce notamment l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons), où les gains d’efficacité entraînent une augmentation des usages. Les illustrations de ce phénomène sont nombreuses. Ainsi, la technologie LED a permis de réduire la consommation d’électricité d’une ampoule, mais cette baisse a largement été comblée puis dépassée par l’explosion des usages de cette technologie.
L’optimisation à outrance fragilise également les systèmes. Les monocultures agricoles ou la plateformisation numérique illustrent cette vulnérabilité. Une monoculture dans les Landes peut devenir une « autoroute à incendies », tandis qu’une panne de plateforme technologique, comme celle de CrowdStrike en juillet dernier, paralyse des chaînes entières.
La robustesse comme alternative économique
« La nature menacée devient menaçante : notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Il va maintenant falloir vivre dans un monde fluctuant, c’est-à-dire inventer la civilisation de la robustesse, contre la performance »[2]. Olivier Hamant propose donc d’abandonner la quête obsessionnelle de performance au profit d’une posture régénérative, centrée sur la robustesse. Inspirée du vivant, cette approche favorise la pérennité des modèles économiques dans un monde fluctuant. En adoptant des pratiques qui intègrent des marges de manœuvre, de la redondance[3] et une flexibilité face aux imprévus, les entreprises peuvent non seulement mieux absorber les chocs, mais aussi garantir leur viabilité à long terme.
[1] Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant, Tract Gallimard, 2024.
[2] Ibid.
[3] La redondance désigne la duplication volontaire de ressources, de fonctions ou de capacités pour renforcer la robustesse d’un système face aux imprévus ou aux perturbations. Contrairement à une optimisation stricte, qui cherche à éliminer tout ce qui est jugé « inutile », la redondance crée des marges de sécurité en prévoyant des alternatives en cas de défaillance.
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