Dernier rejeton des grands récits que l’on cherche à nous vendre, l’illimitisme cherche à conjurer les grandes peurs de notre époque par la croyance en la toute-puissance de l’innovation. Mais on nous a déjà fait le coup : ce nouveau récit peine à nous embarquer.
Alors que nous assistons à un changement de modèle civilisationnel, de nouveaux récits s’inventent ou sont à inventer pour redonner du sens à l’action humaine et retrouver espoir en l’avenir. L’un des discours qui s’installent ces dernières années est celui de l’illimitisme, autre nom de ce que nous appellerions plus communément « folie des grandeurs » ou plus doctement « hubris ».
Alors que l’habitabilité de notre planète est menacée, qu’est-ce qu’on nous promet ? D’aller coloniser Mars (pour commencer). Après nous avoir promis la lune, c’est Mars qui devient le nouvel horizon des ambitions humaines. Ou plutôt d’un ou deux multimilliardaires qui, non contents de contribuer activement à la détérioration de notre environnement ici-bas, nous exhortent à regarder plus loin, à rêver plus fort, à nous projeter plus vite.
Mais la pilule a du mal à passer. Le récit a du mal à enthousiasmer l’individu lambda, et cela pour deux raisons essentielles.
D’abord parce que nous sommes conscients aujourd’hui que le progrès technique ne nous rendra pas plus heureux et qu’il ne solutionnera pas tous nos problèmes. Peut-être même risque-t-il d’en démultiplier la portée. Si nous pouvons tirer une leçon de l’Histoire, c’est bien celle-ci. Coloniser Mars ne nous sauvera pas des désordres en cours (dérèglement climatique, guerres, montée des inégalités…). Qui ose encore le penser ?
Et puis la promesse, ou plutôt la ficelle, semble un peu grosse. Mars, ce n’est pas la porte à côté. On ne s’y rend pas en Uber ni en jet privé. Envoyer un être humain dans cette sinistre contrée n’est ni pour demain ni pour après-demain. Sinistre contrée, car la vie sur Mars est sensiblement moins agréable que celle au Cap Ferret pendant le mois de juin. Mars est inhabitable. Chercher à convaincre quiconque du contraire relève de la manipulation grossière. Bref, on nage en plein space opera !
Tout le monde le sait : personne n’ira sur Mars. Il y a en effet de fortes probabilités pour que l’Humanité ait, d’ici cette date hypothétique, scellé définitivement son propre sort. On dit souvent que quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Rien n’est plus faux ici : c’est l’idiot qui montre la lune. Nous devons ne pas donner trop de crédits à ces foutaises, ni nous laisser distraire par ce numéro d’illusionniste. Focalisons plutôt notre attention sur la résolution des maux actuels, autrement plus réels et pressants.
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