Détresse psychologique, puissance de conviction et goût pour la pensée simplificatrice. Tels sont les traits de caractère communs à tous ceux que convainquent les discours politiques extrémistes, de gauche comme de droite. C’est ce que démontrent deux psychologues néerlandais dans une étude récente.
On l’a dit et répété : la polarisation qui déchire le corps social de nos démocraties en menace l’existence même. Le relatif consensus, qui existait entre les habituels partis de gouvernement autour de quelques principes de base et permettait les alternances sans drame, se désagrège. Les compromis, si nécessaires à la mise en place de décisions qui lèsent le moins possible, s’avèrent de plus en plus difficiles à trouver.
Le dialogue démocratique fait place à des violences dont l’intensité ne cesse de croître. Ce qui provoque, en réaction un désir d’ordre et d’autorité, dont les sondages enregistrent la progression. Autant d’opportunités pour les ambitieux désireux de jouer les « hommes forts »…
Les politologues ont multiplié les analyses de cette crise, disséqué les causes de la montée du populisme. On a fait appel aux historiens pour chercher des précédents, notamment dans les années trente. Mais c’est de plus en plus vers les psychologues qu’on demande à présent les causes de l’étrange épidémie d’extrémismes en tous genres qui accable nos sociétés.
Perte de sens et détresse psychologique
Deux psychologues néerlandais, Jan-Willem van Prooijen et André Krouwel ont publié une étude consacrée aux traits psychologiques relevés parmi les tenants des idéologies extrémistes. Qu’ils se prétendent de gauche et de droite, ils présentent, en effet, sur le plan psychologique des ressemblances troublantes.
On constate en premier lieu une détresse psychologique due à un sentiment d’incertitude. Les adeptes des doctrines radicales souffrent généralement d’une perte de sens, fréquemment consécutive à des événements ressentis comme des injustices personnelles. Lorsque le monde environnant apparaît comme incompréhensible, cela entraîne chez des personnalités fragiles, le besoin de retrouver la direction d’un but, l’assurance d’une mission. Elles compensent leur manque d’assurance personnelle par des convictions idéologiques audacieuses.
A noter : le besoin de sécurité tend à favoriser plutôt l’engagement à droite dans les pays jouissant d’un haut niveau de développement humain. Plutôt à gauche, dans les pays moins développés.
Idées simples et clés universelles
Vient ensuite, le simplisme cognitif. La détresse personnelle aggrave un besoin existentiel de clarification. Les croyances extrémistes fournissent, face à un environnement perçu comme complexe, une apparence de sens facilement accessible.
Il y a dans les idées générales une puissance terrible, surtout lorsqu’elles sont simples et font appel à la passion
Taine dans Les origines de la France contemporaine
« Qu’ils soient de droite ou de gauche, les deux extrêmes croient que les solutions aux crises sont simples » écrivent Jan-Willem van Prooijen et André Krouwel. Ce qui les rend très vulnérables aux théories conspirationnistes, attribuant tous les maux de la terre à une cause unique et facilement identifiable.
Certitudes et biais de confirmation
Troisième trait psychologique commun aux extrémistes, un excès de confiance intellectuelle qui confine à l’arrogance. De leur certitude d’avoir raison et d’être dans leur bon droit, les adeptes du radicalisme politique tirent un sentiment de supériorité. Ils tendent à considérer les dogmes de leurs chapelles comme des vérités universellement valables et qui mériteraient d’être universellement admises. A leurs yeux, elles constituent des évidences, de même que le langage dans lequel ils ont l’habitude de les formuler.
Ceux qui croient disposer du monopole des bons sentiments ont trop tendance à en conclure qu’ils détiennent ipso facto le monopole de la vérité.
Raymond Boudon
Ils sont, de ce fait, habitués au biais de confirmation : ils n’entendent que les arguments susceptibles de rentrer dans la grille d’interprétation que leur fournit leur groupe d’appartenance, et ils écartent tous les faits susceptibles de la contredire. L’extrémisme est intellectuellement arrogant, alors même que ses arguments sont pauvres et son savoir limité.
Une conclusion paradoxale
Enfin, ce simplisme cognitif associé à un excès de confiance envers la doctrine et le groupe qui la partage provoque l’intolérance à laquelle se reconnaissent les extrémistes de tous les bords.
Les extrémistes contribuent à polariser la société, concluent nos deux psychologues. Ils considèrent la vie politique comme un jeu à somme nulle, où il ne peut y avoir que des gagnants (eux) et des perdants (les autres). Ils ne conçoivent pas le compromis. Lorsqu’ils parviennent au pouvoir, ils ne supportent pas les limitations que leur imposent les institutions libérales, telles que l’indépendance de la justice ou le contrôle de constitutionnalité.
Sous l’effet de l’augmentation des effectifs des militants et sympathisants qui se reconnaissent dans ces idéologies, les partis modérés, de droite comme de gauche, subissent une érosion électorale régulière.
Mais le paradoxe, c’est que le profil psychologique des extrémistes des deux bords offre tant de ressemblances, alors qu’ils professent des idées qui, normalement, se contredisent. Même si, dans certaines circonstances historiques, les idéologies extrémistes de droite et de gauche parviennent parfois à conjuguer leurs thèmes et à mélanger leurs militants. C’est alors qu’ils deviennent le plus dangereux, comme le national-socialisme…
Crédits ; France Culture