La résistible ascension des monnaies alternatives

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© Can Stock Photo / italianestro

Des échanges marchands hors l’euro ? C’est possible. Une trentaine de monnaies « citoyennes » circulent aujourd’hui en France. Mais leur déclinaison B to B semble complexe.

Elles sont une trentaine en circulation en France, et au moins autant en gestation.Heol, Eusko, Gonette, Stück ou encore Sonantes : depuis la créationen 2010 de l’Abeille à Villeneuve-sur-Lot, les monnaies locales complémentaires (MLC) essaiment un peu partout sur le territoire.« Quandl’essentiel des crédits bancaires sert à entretenir la spéculation financière et que lamonnaie de référencene joue plus son rôle d’instrument de lien social, il y a urgence àraviver la confiance dans les échanges économiques », expliqueJean-FrançoisPonsot, Directeur duCentre de Recherche en Économie de Grenoble. Majoritairement convertibles avec l’euro, généralement soutenues par les collectivités territoriales, ces monnaies alternatives sont toutes porteuses d’unemême promesse :proposer aux citoyens des modes d’échange économique raisonnés, créer de la cohésion sociale et insuffler des dynamiques locales eninnervant le circuit commercial.

4 000 monnaies dans le monde

Le phénomène n’est ni nouveau, ni circonscrit àl’Hexagone. Les monnaies ont littéralement explosé en Argentine à partir des années 80, avant de se développer en Europe avec lacrise financière de 2008. On compte aujourd’hui soixante dispositifs locaux en Allemagne, autant en Espagne, et une trentaine en Grèce.Il pourrait exister plus de 4 000 systèmes différents dans une cinquantaine de pays à travers le monde, qui toucheraient environ un million de personnes.

Au-delà d’un engouement grandissant, ces initiatives parviennent-elles à remplir tout ou partie leurs objectifs ? Les apôtres du modèle citeront le cas de l’Eusko, monnaie à parité avec l’euro créée en 2013 au Pays Basque, et qui compte3 000 adhérents, dont 700 professionnels. Avec quelque750 000 euskos en circulation, le dispositif génère 3 millions d’euros de chiffre d’affaires sur son territoire.

Seulement voilà, peu de projets parviennent à réunir le millier d’utilisateurs. «Ce qui fonde le succès d’une monnaie, c’est la confiance. En matière monétaire, celle-ci est lente et délicate à construire. Il est très difficile de convaincre les ménages et les entreprises qu’une monnaie locale est fonctionnelle et digne de crédibilité », explique Jérôme Blanc, économiste, professeur à Sciences Po Lyon.

Le résultat est là : une masse monétaire moyenne en circulation par monnaie très faible. En 2014,une mission d’étude mandatée par le gouvernement l’avait chiffrée à 26 000 équivalents euros. Souvent moins que lesoutien financier nécessaire au maintien des projets.

20 % des PME suisses ont franchi le pas

Faut-il alors changer de braquet, en intégrant par exemple plus frontalement les entreprises dans le circuit ? Pas si simple.Leprojet francilien Symba, imaginé par un pool d’universitaires en coopération avec Région pour permettre aux PME et TPE de pallier leurs manques de liquidités via un système de crédit et d’échange inter-organisations, n’a jamais vu le jour. Son modèle s’inspirait largement du Wir, monnaie suisse créée en 1934 par une poignée d’entrepreneurs auxquels les banques refusaient l’ouverture de lignes de crédit.

80 ans après son lancement, le Wir, est bel et bien vivace. 20 % des PME suisses l’utilisent,à hauteur de 5 à 7 % de leur chiffre d’affaires et pour un montant total des transactions de 2 milliards chaque année.

Alors, qu’est-ce qui empêche une transposition de cette success-story à l’échelle de la France ?Question d’échelle, justement, objectent les tenants de l’ancrage territorial. Si le Wir perdure, c’est parce que laSuisse est un petit pays, très autonome sur le plan commercial. Or,au-delà d’un certain périmètre d’usage, une monnaie perdrait son potentiel de cohésion sociale.

Inscription au bilan des entreprises

Pour Jean-François Faure,fondateur du think tank « Monnaies en transition », la controverse local/national est aussi idéologique que stérile. « Si l’on veut développer l’usage des monnaies complémentaires au sein du monde économique en général, et par les TPE/PME, il est nécessaire qu’elles puissent apparaissent au bilan des entreprises. En effet, le principe de l’échange de prestations ne doit pas être considéré comme une activité “parallèle”, mais bien comme un complément », souligne-t-il.

Accepter cette intégration au bilan, c’est permettre la collecte de la TVA et des différentes taxes et impôts des sociétés en monnaie complémentaire. Avec un effet immédiat sur la portée effective de la monnaie, qui devient ainsi un acteur potentiel à part entière du financement des besoins communs.

Murielle JAOUEN

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