Faire tomber les trois murs de notre prison

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Photo de Jimmy Chan provenant de Pexels

Il est parfois si facile de prédire ce qui va arriver dans l’avenir le plus proche ; simplement en scrutant les tendances longues du passé*, en décryptant les lois et en comprenant que le présent, comme le futur proche, ne sont que d’infimes pellicules venant vite rejoindre le passé.

Il est si facile ensuite de faire ce qu’il faut pour que le pire ne se produise pas.

Et pourtant, les humains font tout pour ne pas connaître leur avenir. Ni leur avenir personnel ; ni l’avenir de leur collectivité.

Même si bien des gens se ruent chez les voyantes ou sur les horoscopes, pour apprendre quelque chose de leur avenir, ils ne le font que parce qu’ils savent, au fond d’eux-mêmes, que cela est mensonger. Par contre, quand la réponse à attendre est sérieuse, personne ne veut la connaître : qui voudrait vraiment apprendre la date de sa mort ? Au point que beaucoup de gens, même parmi ceux qui passent leur temps à interroger les voyantes, refusent de voir un médecin, de peur d’apprendre de lui une mauvaise nouvelle autrement plus crédible que celles que les cartes pourraient lui prédire. Tant de gens sont morts pour ne pas avoir consulté à temps les médecins qui auraient pu les sauver.

Même si les gens adorent lire des livres ou voir des films de science-fiction, pour comprendre quelque chose du monde qui vient, ils ne le font que parce qu’ils savent bien que ce n’est pas réaliste. Très peu de gens veulent vraiment prendre conscience des vrais risques que court un pays, un peuple, ou l’humanité : qui voudrait vraiment connaître la date du massacre qui le menace ? Tant de peuples ont été anéantis pour ne pas avoir écouté à temps ceux qui leur criaient l’urgence de quitter des terres inhospitalières.

Dans toutes ces circonstances, les humains dressent devant eux trois murailles, qui les empêchent de voir et d’agir sur l’avenir. Celle de l’irréalisme, celle de l’aveuglement, et celle de la procrastination.

  1. Irréalisme : On ne veut pas admettre que, par nature, l’histoire est tragique, et que le pire est possible.
  2. Aveuglement : Même ceux qui admettent que le pire est théoriquement possible refusent en
    général d’admettre qu’il est vraisemblable.
  3. Procrastination : Et même parmi ceux, trop rares, qui admettent que le pire est vraisemblable, la plupart retardent autant qu’ils peuvent le moment de réagir pour l’éviter.

Pourquoi tout cela ? Pourquoi avoir bâti ces trois murailles qui nous empêchent de voir l’avenir ? Pourquoi ne voulons-nous pas vraiment connaître l’avenir, même le plus proche ? Ni écouter ceux qui nous en parlent ? Pourquoi restons-nous paralysés quand il s’agit de modifier notre destin ?

Tout simplement parce que, dans l’avenir, nous serons morts ; et que nous haïssons ce temps, où d’autres gens vivront dans nos maisons, aimeront ceux qu’on aime. Ce moment où d’autres seront heureux sans nous ; ce temps où nous serons oubliés. Alors, et parce que nous n’aimons pas penser au monde sans nous, nous refusons de prendre au sérieux tout discours qui en parle sérieusement.

C’est en particulier ce qui se passe aujourd’hui.

Trop de gens refusent, depuis un an, d’admettre la gravité de cette pandémie. Trop de gens ont refusé d’admettre qu’elle pouvait dégénérer rapidement et entrer en collision avec d’autres menaces, économiques, écologiques, identitaires. Trop de gens se conduisent d’une façon inconsciente, ne respectant pas les règles du confinement et en récusant sa nécessité. Parce qu’ils ont trop peur de l’avenir pour y penser.

En agissant ainsi, ils créeront une situation bien pire encore que celle à laquelle ils font semblant de ne pas croire. Une situation où frapperont à la porte des hôpitaux bien plus de malades que ceux-ci ne pourront en accueillir. La situation sanitaire deviendra une situation si intolérable, si explosive, où la panique deviendra si totale qu’un confinement infiniment plus sévère que celui d’aujourd’hui sera décrété, et accepté, entraînant une crise économique plus grave encore que celle qui nous attend d’ores et déjà.

Jusqu’à rebondir. Car on rebondira. On sortira de cette crise. On retrouvera des moments heureux, sans masques ni crainte. On ira de nouveau au cinéma, au théâtre, au concert, dans les restaurants ; on reprendra l’avion. Et tant d’autres choses.

Après bien des malheurs ; ou parce qu’on aura su les éviter.

Car c’est bien cela qu’il faut comprendre, et admettre avec sérénité : faire tomber les murailles qui nous enferment dans notre présent, permet de voir que, au-delà, la vie est plus belle encore.


*Pour mieux comprendre les crises économiques de notre proche passé, je vous recommande les deux documentaires suivants, à retrouver sur ma chaîne jacquesattali.tv

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