Depuis la publication, par Paul Rozin et Edward Rozyman, de leur article « Negativity Bias », dans la revue savante américaine Personality and Social Psychology Review, en 2001, l’expression « biais de négativité » est devenue un poncif de la psychologie sociale. De quoi s’agit-il ?
Le biais de négativité est un héritage encombrant de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. De notre tendance spontanée à surévaluer ce qui nous arrive de fâcheux au détriment des récompenses dont nous gratifient également nos vies. A retenir davantage les mauvaises nouvelles que les bonnes. Les expériences menées par diverses équipes de psychologues l’ont depuis confirmé : une perte nous affecte bien davantage que le gain équivalent. Les économistes ont d’ailleurs intégré cette donnée et ils l’utilisent pour leurs prévisions.
Pour les darwiniens, l’origine de ce « biais de négativité » serait à chercher du côté de la vie difficile de nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs. Ceux qui se méfiaient des baies, parfois d’ingestion mortelle, ont survécu davantage que ceux qui ne se fiaient qu’à leur goût agréable. Cet acquis s’est transmis à leurs descendants.
Aujourd’hui, alors que notre vie est infiniment plus facile et moins dangereuse, cette disposition soupçonneuse serait devenue non seulement inutile, mais nous gâcherait la vie. Nous avons la chance de vivre dans une époque bénie, de bénéficier d’avantages dont nos ancêtres n’auraient pas rêvé et nous nous croyons menacés des pires calamités. D’où des réactions inappropriées.
Compenser notre biais de négativité
C’est la thèse soutenue par les auteurs d’un livre qui vient de paraître, The Power of Bad (and how to overcome it ?). Le pouvoir du négatif et comment le surmonter. Pour ses auteurs, l’essayiste John Tierney et le professeur de psychologie Roy F Baumeister, il nous faut prendre conscience de ce biais de négativité, afin de le compenser. Parce qu’il est omniprésent. « Du matin au soir, nous sommes assaillis, écrivent-ils, par les marchands de malheur. Politiciens et journalistes ciblent nos émotions primaires, par un battage sur les menaces censées nous environner – qu’elles proviennent de la nature, de la technologie, des étrangers, du bord politique adverse – tout ce qui est susceptible de déclencher les circuits d’alarme de notre cerveau. »
Ainsi, le public est formidablement informé de maux aussi rares que le syndrome de stress post-traumatique, mais nullement du concept de croissance post-traumatique, qui succède à un changement personnel positif. Les psychologues ont pris conscience du problème ainsi créé. Et pour contrebalancer l’effet du « biais de négativité », ils explorent à présent un « ratio de positivité ». Evidemment, il faut se méfier des manuels de « pensée positive », qui commencent, comme ils l’ont fait en Amérique du Nord, à envahir les rayons « livres » de nos supermarchés. Comme le « développement personnel », c’est de la daube pour gogos.
Dans quels pays est-on le plus heureux ?
Oui, ça se mesure à coups de sondages. Le Pew Center publie depuis plusieurs années une étude le bonheur dans le monde. Les critères sont assez variés pour inspirer confiance : le PIB par habitant, le niveau de protection sociale, l’espérance de vie en bonne santé, le degré de liberté de choisir sa vie, la générosité, le degré d’intégrité perçu. Le degré de bonheur dont jouissent les habitants de cent cinquante-six pays est ainsi évalué.
Et les dix mêmes pays se disputent le haut du classement depuis des années. L’an dernier, le top-ten des gens heureux s’établit ainsi : premier : Finlande, deuxième : Danemark, troisième : Norvège, quatrième : Islande, cinquième : Suisse. Viennent ensuite, dans l’ordre : la Suède, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Autriche. Le cliché selon lequel on est plus heureux dans les pays chauds en prend un coup !
Et la France, me direz-vous, ce « paradis où les gens se croient en enfer », selon l’expression de Sylvain Tesson ? Nous sommes classés 24° sur 156. Derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Pourquoi les gens de droite sont plus heureux que les gens de gauche ?
Quant à l’influence de la politique sur le bonheur, il a également fait l’objet d’études sérieuses, et les résultats sont sans appel : les conservateurs se déclarent en moyenne nettement plus heureux que les progressistes. Selon le Pew Research Center, les conservateurs sont 68 % plus heureux que les gens de gauche.
A droite, on explique ce bon résultat par la stabilité de la vie personnelle. Car les plus forts taux de bonheur privé se concentrent chez les personnes qui sont mariées, ont des enfants, qui ont une pratique religieuse et qui votent à droite. Alors que les célibataires sans religion et de gauche figurent en bas du tableau.
A gauche, on penche plutôt pour l’individualisme et l’égoïsme des conservateurs, peu atteints par les malheurs du monde. Satisfaits de ce qu’ils ont.
Mais la bonne explication, c’est celle donnée par les psychologues : les conservateurs sont plus heureux parce qu’ils ont davantage confiance dans le système ; ils ont la conviction d’avoir prise sur le cours de leur vie et le sentiment qu’ils peuvent améliorer leur sort par leurs propres moyens. A gauche, on en doute. Et l’on est plus pessimiste sur ses propres chances.
Crédits : France Culture