La période des vœux approche ; chacun va y aller de ses souhaits de bonheur, de joie, de santé. Chacun ressent aujourd’hui que ces vœux seront plus nécessaires, plus concrets que les années précédentes, où ils avaient souvent une connotation automatique, machinale, vidée de tout sens concret.
Pour ma part, j’ai toujours accueilli avec perplexité ces souhaits de spectateurs du monde, attendant des autres, du hasard ou du ciel que le meilleur se produise. En réalité, nous sommes les acteurs de nos vies ; et au lieu de « souhaiter » aux autres le bonheur, la joie et la santé, j’ai toujours pensé qu’il fallait dire « puissiez-vous faire tout ce qui est en votre pouvoir pour être heureux et en bonne santé ; et pour aider les autres à l’être aussi ».
Pour 2021, j’aimerais ajouter à ces vœux si nécessaires un autre souhait, plus modeste en apparence, et pourtant, à mon sens, particulièrement essentiel à l’aube de cette année si particulière : ne cédez pas au découragement.
Et de fait, au cours de l’année prochaine, les raisons objectives de se décourager seront plus nombreuses encore que pendant les années précédentes :
Personnellement, on pourrait être découragé si les cours à l’université ne reprennent pas, si les restaurants n’ouvrent pas, si les lieux de culture restent fermés, si on est atteint par cette pandémie après avoir fait beaucoup d’efforts pour s’en protéger ; si on perd un proche ou un ami ; si on perd son emploi après avoir tout fait pour le garder et sans avoir de perspective d’en retrouver un ; si on ne réussit plus à payer ses factures, à rembourser ses emprunts étudiants ou immobiliers ; si on bascule du jour au lendemain dans la misère ; si on devient sans-abri.
Collectivement, si le confinement dure plus longtemps que prévu ; si la distribution du vaccin se fait attendre ; s’il se révèle moins efficace que prévu ; si l’économie ne redémarre pas ; si s’installe le sentiment que cette crise n’est pas passagère ; si on a le sentiment que les puissants ne sont pas à la hauteur des responsabilités qu’ils détiennent ; si, une fois cette pandémie vaincue, apparaît une autre pandémie, une catastrophe climatique, des formes nouvelles de terreur et de violence…
Plus généralement, le découragement peut venir si les efforts ne paient pas ; si une bonne nouvelle attendue ne se matérialise pas, si survient un malheur, un chagrin, une catastrophe si énorme qu’il ou elle semble insurmontable ; si le cours d’une vie droite déraille par surprise ; et surtout, si on doit affronter cela dans la solitude, sans soutien d’une famille, d’une communauté, d’une nation. C’est le cas pour la plupart des humains aujourd’hui. Et nul, à part quelques très rares privilégiés (et encore), n’est à l’abri de tels drames.
Quand une telle situation menace, quand la résignation s’annonce, surgissent d’autres risques : ceux de la dépression, des troubles psychiatriques, du suicide, et toutes autres formes de fuites devant le réel.
Vient alors la pire stratégie face à ces catastrophes : la résignation. Elle se manifeste par l’abandon, le renoncement, le laisser-aller. Elle peut être visible, spectaculaire, communicative. Elle peut aussi être dissimulée, quand le résigné réussit à donner le change aux autres et à lui-même, à faire croire qu’il continue de vivre normalement, de se battre, tout en ayant déjà, en son for intérieur, lâché la rampe.
Bien des gens en sont morts. Bien des entreprises en meurent. Bien des pays en meurent aussi.
Comment expliquer que certains baissent les bras et que d’autres réagissent ? Comment comprendre les attitudes si différentes des gens face à l’adversité la plus extrême ?
Confronté une fois à une situation de ce genre, je me suis entendu dire par François Mitterrand, « vous avez droit à vingt-quatre heures de découragement ». Ce fut sans doute le conseil le plus important qu’il m’ait jamais donné.
Pour faire face à cette terrible menace, il faut en effet de la volonté, un refus vital de renoncer, de la confiance en soi, de la motivation. Les mêmes qualités qu’il faut, de toute façon, pour vivre pleinement toute vie, pour se trouver, pour devenir soi.
Où trouver une telle motivation ? Comment la créer quand on ne l’a pas naturellement ?
La clé est dans une phrase simple : « vivement après-demain ». Autrement dit, il faut tenter de visualiser, alors même que s’annoncent des heures sombres, des déceptions, des mauvaises surprises, des catastrophes, des descentes aux enfers, qu’un autre avenir est peut-être possible. Qu’on peut encore être heureux, qu’on peut retrouver le chemin du sourire et de la liberté ; que des gens, qui dépendent de nous, méritent qu’on ne se laisse pas aller.
Un tel avenir heureux n’est pas certain. Mais possible. Et la seule chose qui soit certaine, c’est que cet autre avenir, positif, ne peut se réaliser que si on ne se résigne pas au pire ; si on comprend que la résignation est une fabrique de prophéties pessimistes autoréalisatrices, une machine à produire du malheur.
La première des urgences, en 2021, sera donc de tout faire pour échapper aux milles raisons que nous aurons tous, à un moment où un autre, pour une raison ou une autre, les uns et les autres, d’être découragés.
Il ne faudra donc pas, au soir du 31 décembre, se contenter de « souhaiter le meilleur », mais de trouver en soi le courage, la volonté, la motivation, la « niaque », pour créer les conditions pour qu’il se réalise, pour soi, et pour les autres.