Patrick Veisellier n’est pas un humoriste comme les autres. En 2014, il se lance dans un One Man Show en chinois, alors qu’il ne parle pas la langue ! Son activité en France suspendue avec la crise du Covid, il part Le 1er mai prochain en Chine pour y jouer son second spectacle, le tout en Smart !
Après avoir été gérant de discothèque, vous êtes devenu comédien et humoriste, puis … « humoriste chinois » ?
Effectivement, dès l’âge de 20 ans j’étais propriétaire de discothèques. Très tôt, j’ai eu goût d’entreprendre car j’aime l’autonomie et la liberté que cela procure. À la vente de mes établissements, j’ai décidé de monter sur scène. Avec pour seule condition de ne jamais dépendre d’un directeur de casting ou d’un producteur. J’ai monté ma société de production pour mon premier one-man-show. J’ai joué à l’Olympia en 2007 ainsi que dans plusieurs pièces de théâtre. Tout cela représente environs 1300 dates depuis 2009.
Comment vous est venue l’idée de produire un spectacle comique en chinois ?
Tout part d’une blague avec un ami d’origine chinoise qui me faisait remarquer en plaisantant que la France est un tout petit pays avec 20 000 humoristes, tandis que la Chine avec ses 2 milliards d’habitants n’en compte pas un. Je lui ai répondu que je serai alors le premier « humoriste chinois » ! Et je me suis pris au jeu en louant un théâtre à Paris, puis en mettant en vente des billets avant même d’avoir écrit un spectacle. C’est ma manière à moi de me mettre un ultimatum. Les réseaux sociaux ont fait le reste du travail, si bien que la première représentation de ce spectacle en chinois a eu lieu à Paris au Palace devant 900 personnes !
Mais vous parlez chinois ?
Pas du tout ! Ça serait trop facile ! J’écris en français, je fais traduire puis j’enregistre en audio après avoir appris le texte en phonétique. Au fil du temps cependant, la langue m’est de moins en moins inconnue, car des signes reviennent régulièrement. Du coup, pour le spectacle à venir, j’ai pris la décision d’apprendre à parler chinois, le plus rapidement possible, afin de pouvoir échanger avec le public à la fin des représentations.
Quelles sont les spécificités de l’humour chinois ? De quoi parle votre spectacle ?
C’est simple : la culture du « seul en scène » n’existe pratiquement pas, le second degré est difficilement adaptable et les jeux de mots, impossibles. La vulgarité n’est pas tolérée, parler de politique non plus. D’ailleurs, mon spectacle a dû être validé par le ministère de la culture du gouvernement chinois. Mais « En attendant Beyoncé » est un spectacle de situation, qui pourrait être joué dans n’importe quelle langue : j’y tiens le rôle d’un présentateur qui a juste appris une phrase de chinois pour annoncer un showcase de Beyoncé. Malheureusement, elle n’arrive pas ! il va donc falloir faire patienter le public, avec mon chinois approximatif.
Le secteur de la culture a été très lourdement touché par la crise du Covid, comment cela s’est traduit pour vous ?
Comme pour beaucoup de mes collègues, l’année a été terrible. Ce spectacle devait démarrer en avril 2020 sur le premier étage de la tour Eiffel. J’aurais été le premier humoriste à jouer à cet endroit : une opportunité exceptionnelle, avec une image forte pour les spectateurs chinois. J’étais également en négociation pour une résidence à Las Vegas. Mais tout a été suspendu.
Du coup, vous avez décidé d’aller jouer votre spectacle en Chine et d’y aller en Smart ? C’est un peu dingue non ?
Oui, mais je fonctionne comme ça. Lorsqu’une idée surgit, je ne pense pas business plan, montage financier ou autre. Si ça me fait rire, je fais en sorte que cela puisse se concrétiser. C’est un défi dont la difficulté est accentuée en cette période de pandémie. Pour aller en Chine, je dois traverser toute l’Europe de l’Est, l’Iran, l’Afghanistan. Et ce en Smart, parce que là aussi cela m’amusait !
Quelles qualités requiert une entreprise comme la vôtre ?
La persévérance, mais également une forme d’imperméabilité aux avis des autres. Sur ce projet, peu de monde m’encourageait au départ. Il faut également être capable de préserver le côté fou de l’aventure, tout en l’organisant un maximum c’est à dire en assurant le bouclage financier, l’administratif avec les nombreux visas, les test Covid… sans oublier l’écriture et l’artistique !
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour réaliser ce projet ?
C’est un projet qui ne connaît que des difficultés ! celui du passage des frontières, par exemple. En ce moment certains pays comme la Russie et le Kazakhstan sont complètement fermés. Pour pouvoir partir comme prévu le 1er mai et ne pas avoir à annuler ou reporter comme en 2020, je dois donc passer par des endroits où les conflits sont plus nombreux, mais où les restrictions sont moins importantes.
Comment avez-vous financé votre voyage en chine ?
L’important pour moi était de boucler un budget sans avoir à solliciter de producteurs ou de banques afin que la validité du projet ne soit pas dépendante de leur aval. Le budget se décompose en trois. Une grosse partie est constituée par de l’investissement personnel. Une autre part du budget est apportée par des « ambassadeurs » : des amis ou connaissances qui ont décidé d’investir dans le spectacle en retour d’une partie des bénéfices. Ce sont des coproducteurs passifs en quelque sorte. Sportifs, médecins, chefs d’entreprise, retraités et même étudiants, les profils sont extrêmement divers. Viennent ensuite les partenaires : des entreprises qui ont décidé de communiquer via mon spectacle, en apposant leur marque sur la voiture et sur mes supports de communication. Ce sont des structures de taille extrêmement différentes mais toujours humaines. J’aime avoir avec ceux qui les dirigent des échanges autres que financiers : conseils d’entrepreneurs, avis sur le voyage, recommandation ou tuyau sur tel ou tel endroit.
Quelles ont été les réactions ou retours de vos sponsors ? Pourquoi ont-ils décidé de participer financièrement à l’aventure ?
J’ai eu la bonne surprise d’avoir des réactions extrêmement positives : on sort d’une période d’enfermement et je parle de voyage, de sortir des murs. De plus, ce projet va recueillir des retombées médiatiques importantes notamment télévisuelles. Je suis un bon investissement ! Le tour de table reste d’ailleurs ouvert, j’en profite pour le dire ici !
Qu’attendez-vous de cette aventure ? Quels enseignements en avez-vous déjà tiré ?
Toute cette aventure a été menée d’une manière très sincère et même assez naïvement, je n’ai pas peur de le dire. Et je m’aperçois que lorsque je parle à des partenaires potentiels, je le fais en oubliant que je les contacte pour des raisons financières. Je pense que cette sincérité se ressent, et que chacun a toujours cette petite propension au rêve. Et je trouve ça plutôt chouette, encore plus en ces temps difficiles ! Je m’aperçois que rencontrer des chefs d’entreprise en parlant d’autre chose que de leurs problèmes quotidiens, des restrictions liées à la pandémie, est toujours bien accueilli. Qu’ils puissent participer ou pas d’ailleurs ! De plus, cette aventure folle m’a permis de reprendre la discussion avec la société d’exploitation de la tour Eiffel. J’espère que l’année 2020 n’aura été qu’une pause, et que tout va reprendre. On sait aujourd’hui que tout peut s’arrêter d’un coup, réaliser ses rêves est donc devenu primordial. A ma façon, je contribue certainement à le rappeler.