Mon objectif ces prochaines semaines ? En dix courts articles, vous livrer les clés du management d’une des entreprises les plus connues de la Silicon Valley. Ces clés sont répertoriées dans un ouvrage paru il y a peu et qui fait beaucoup parler de lui. De nombreux amis entrepreneurs se sont montrés enthousiastes à sa lecture.
D’ordinaire, je me méfie de ces types de bouquins qui surfent sur le caractère emblématique d’une entreprise et le charisme de son patron en édictant des principes universels de réussite, à grand renfort de storytelling. D’autant plus quand cela vient de l’autre côté de l’Atlantique et plus particulièrement de la Silicon Valley. Pour autant, j’ai essayé de faire taire cette réticence première pour me plonger dans l’ouvrage, suivre le raisonnement de l’auteur et façonner mon propre avis.
Combiner l’expérience de l’entrepreneur au sérieux de la chercheuse
Entreprise emblématique, patron charismatique… Le livre dont je vous parle, c’est – vous l’avez deviné – celui de Reed Hastings, le patron de Netflix, La règle ? Pas de règle ! Netflix et la culture de la réinvention, publié chez Buchet Chastel. Ce livre donne aussi largement la parole à Erin Meyer, enseignante à l’INSEAD. Celle-ci vient contrebalancer, enrichir, fortifier le propos d’Hastings avec son expertise et la référence à de nombreuses études. Une coécriture plutôt efficace et astucieuse : l’expérience de l’entrepreneur combinée au sérieux de la chercheuse. Les mauvais esprits verront là un alibi « scientifique » servant à justifier les thèses discutables du principal protagoniste. Mais l’apport d’Erin Meyer donne de la matière à l’ouvrage et sans sa contribution, l’ouvrage me serait rapidement tombé des mains.
Se défaire de la bureaucratie pour accéder à une culture de la liberté
On n’y va pas par quatre chemins. Dès le début, le cofondateur de Netflix avance sa thèse : pour qu’une entreprise soit performante, s’adapte aux évolutions du marché et excelle dans son domaine, celle-ci doit abandonner toutes les règles qui entravent la liberté des collaborateurs et sa vitesse d’exécution.
Abandonner les règles… Tout cela, c’est bien beau, mais ces règles ne sont pas simplement cosmétiques. Leur instauration répond à une véritable nécessité. Quand on crée son entreprise, quand le nombre de collaborateurs se compte sur les deux mains, pas besoin de règles. Tout se fait très naturellement. Les circuits de décision n’existent pas ou sont très courts. Tout va très vite. Et puis l’entreprise se développent, le besoin de formaliser, d’expliciter, de structurer se fait plus pressant. Les règles deviennent nécessaires pour éviter le désordre. L’action est entravée. Tout va moins vite. Peut-on alors réellement faire l’impasse sur les règles et leur inflation ? Pour Hastings, la réponse est positive. Il suffit de faire rimer liberté avec responsabilité. Pas de liberté sans responsabilité. Très bien… Mais comment ? Car faire que chaque salarié dans l’entreprise soit suffisamment responsable pour que les règles soient superflues, cela ne se décrète pas. Quelle est la recette ? Cette dernière est assez simple et franchement radicale : ne recruter que les meilleurs, les plus innovants, les plus créatifs, les plus coopératifs et virer les autres, quitte à signer de gros chèques pour cela. Pour reprendre l’expression utiliser, mettre en place « une haute densité de talent ».
Aller vers une culture du feedback
Ceux qui sous-performent, ceux qui nuisent à l’ambiance de l’équipe, ceux qui constituent de gentils collègues sans rien apporter de significatif à l’entreprise, « ceux qui n’ont rien d’extraordinaire » ne doivent pas être retenus et même encouragés à partir. Erin Meyer s’appuie sur une étude réalisée sur des groupes d’étudiants par Will Felps, de l’université de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Cette étude démontre que quand un individu « toxique », « fainéant » ou « pessimiste dépressif » intègre une équipe de travail, les autres membres de l’équipe vont très vite calquer leur comportement sur cet individu, même si ceux-ci sont au demeurant « exceptionnellement doués ou intelligents ». Bref, un membre « toxique », « fainéant » ou « pessimiste dépressif » contamine les autres et plombe toute l’équipe. La leçon qui est tiré de cette expérience, c’est que les moyens hissent les bons et toute l’entreprise à un niveau moyen.
En ne recrutant que des personnes excellentes dans ce qu’elles font, celles-ci apprennent les unes des autres, se stimulent, « performent » : l’entreprise tire les fruits de la qualité de ces interactions et maximalise son niveau de performance.
Oui, mais…
Interrogeons-nous néanmoins à ce stade sur trois points :
- D’abord, sur la manière d’évaluer les bons et les mauvais, de séparer le bon grain de l’ivraie. Il est difficile d’identifier « les personnes remarquables », car nous sommes tous plus ou moins remarquables dans un domaine donné. Il ne va pas de soi par exemple que les plus créatifs soient également les plus coopératifs. L’analyse de Hastings et Meyer semble très – trop ? – manichéenne.
- Ensuite (et conséquemment), peut-on vraiment postuler que l’addition des (soi-disant) meilleurs permet de créer la meilleure équipe et l’entreprise la plus performante ? On peut créer une « dream team » en sortant son chéquier, mais le résultat n’est pas garanti. Les catastrophes industrielles ne sont pas rares ; le sport nous l’enseigne fréquemment. Trop de talents, parfois, tue le talent…
- Enfin, cette règle de ne recruter que les meilleurs peut-elle être transposable partout ? Je ne suis pas sûr que Jeff Bezos pour ne citer que lui fasse sien le raisonnement de Hastings. Jeff Bezos a-t-il vraiment besoin d’avoir des cadors à tous les postes chez Amazon ? Qu’il faille des très bons a des endroits stratégiques pour l’entreprise, c’est une chose. C’en est une autre que de rechercher à ne recruter à tout prix que des très bons à tous les postes. La profondeur des poches de la quasi-majorité des entreprises n’est malheureusement pas infinie. On ne peut souvent pas payer très bien tout le monde, sauf peut-être si on s’appelle Netflix.