L’autogestion, un modèle d’avenir ?

Il y a cinquante ans, on ne parlait que d’autogestion. Et puis rien, ou pas grand-chose. Avec la ressuscitation du mot « commun » et les nouvelles économies qui se dessinent, l’autogestion a-t-elle un avenir ?

Autogestion ? Le terme, emblématique des années 70, est aujourd’hui démodé. « Pourtant les débats qui ont lieu à son sujet gardent une considérable importance et une réelle actualité», souligne le philosophe Patrick Viveret, ancien dirigeant rocardien du PSU qui avait, en son temps, promu le modèle de l’autogestion. Démocratie participative, développement coopératif, la référence à l’autogestion reste prégnante dans le monde de l’Economie sociale et solidaire et du développement coopératif, même si le mot a disparu du langage politique. Dans certains contextes régionaux ou historiques précis, le principe est remis à l’ordre du jour comme au Brésil ou en Argentine avec le mouvement des « Fabricas recuperadas ». Des milliers d’employés, plutôt que d’être réduits au chômage, préfèrent ainsi « récupérer » et réanimer leurs entreprises en faillite et les relancer collectivement.L’inspiration autogestionnaire trouve des formes diversesen Espagne, en Italie, mais aussi dans des petites entreprises en France, au sein des SCOP(Société coopérative et participative) par exemple, qui appliquent des principes autogestionnaires : absence de patron, salaires égaux, gérance tournante, décisions prises en commun, tâches réparties. C’est aujourd’hui le chantier des « communs » qui s’impose sur la scène publique. Des plateformes ouvertes de libre accès aux entreprises collaboratives, desluttes pour la gestion commune de l’eau auxautomobiles partagées,les « Communs » sont partout !

« C’est bien de la base que ça vient »

Quelles sont les convergences ou divergences entre le projet de l’autogestion généralisée et l’horizon politique du commun, se demande Catherine Samary ,économiste, spécialiste de la Yougoslavie et de l’autogestion (1) ? Est-ce que tout commun est en soi de l’autogestion ? « Il y a un parallèle entre les notions de communs et d’autogestion, fait observer Benoît Borrits, auteur d’Au-delà de la propriété, pour une économie des communsC’est bien de la base que ça vient. » Les deux notions reposent sur l’auto-organisationdans un projet collectif remettant en cause la notion taboue de propriété privée et valorisant l’initiative locale des parties prenantes.

Tout comme l’autogestion, les communs s’attachent à mettre en pratique le modèle d’une autre société. Leurs différences ? Le principe autogestionnaire s’inscrit dans une tradition socialiste qui recouvre un ensemble de pratiques et de théories définis, mobilisant une classe sociale au sein de l’entreprise. Il vise la destruction du capitalisme d’Etat, la transformation de l’Etat et des institutions.

« L’autogestion est un principe d’organisation d’une autre société, précise Catherine Samary. Elle est incompatible avec un système capitaliste, car elle met en cause la nature de la propriété, qui doit être socialisée, les rapports de domination liés au salariat, le rôle de la monnaie et la forme de financement qui ne doivent pas donner un pouvoir sur la gestion et sur l’organisation du travail ».

Optique libertaire, plurielle et multiforme

De son côté, le mouvement des communs est plus sociétal et ne se développe pas contre le monde marchand. Il concerne davantage l’usager et la société dans une optique libertaire, plurielle et multiforme.Selon Benjamin Coriat, économiste et membre du groupe La Coop des Communs, «chaque individu qui participe à la gestion des ressources en commun doit aussi participer aux prises de décision politiques concernant cette activité». Mais pour Patrick Viveret, l’autogestion peut aussi évoluer «l’autogestion comme source de vitalité souterraine, comme attente d’une démocratie toujours plus radicale et participative, reste féconde et rien n’interdit de penser que le mot même puisse connaître dès lors une nouvelle jeunesse dans un avenir plus ou moins proche» (2). Convergence en vue ?

Base de nouveaux rapports sociaux

Le retour de l’autogestion, grâce aux communs, serait, selon nombre de ceux qui la créditent, la base de nouveaux rapports sociaux, fondés sur la compétence et la coopération plus que sur la hiérarchie et la compétition. Elle constituerait le moyen de redonner du sens à la démocratie en dynamisant les notions de responsabilité collective et d’implication citoyenne dans le travail, l’école, l’habitat et la vie quotidienne. Catherine Samary va plus loin.Il s’agit de« lutter dans le système, contre le système au-delà du système ».


(1) Réunion de réflexion sur la question Autogestion et communs, 12 avril 2018.

(2) L’autogestion, un mort bien vivant, Cairn.info.

Crédit Photo : Can Stock Photo – focalpoint

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