Co-dirigeant du groupe Addev Materials à Lyon, Julien Duvanel passe une bonne partie de son temps aux Etats-Unis pour gérer les huit filiales intégrées par croissances externes au groupe depuis 2014. Cette conquête de l’Ouest a certes permis au groupe de grossir, mais a surtout insufflé un nouvel état d’esprit aux deux dirigeants et à l’ensemble de leurs 700 collaborateurs dans le monde.
« Acheter une entreprise, c’est facile : il faut bien la cibler et financer son acquisition. Le vrai challenge, c’est de l’intégrer », lance dans un large sourire Julien Duvanel, co-fondateur, avec Pascal Nadobny de l’ETI lyonnaise Addev Materials, spécialisée dans la commercialisation, la découpe et des services aux industriels pour la fourniture de matériaux comme des adhésifs, des films, des colles et une gamme de produits chimiques. Dès l’acquisition, en 2006, de l’entreprise dans laquelle ils se sont rencontrés et travaillaient, les deux dirigeants basent leur stratégie sur la croissance externe « pour atteindre une taille critique au niveau national ». Jusqu’en 2014, Julien Duvanel et Pascal Nadobny s’attachent à constituer, en France, un groupe de douze entreprises pour créer un réseau de proximité de spécialistes des techniques d’assemblages et adhésives. De 2006 à 2014, le groupe passe de 4 à 50 M€ de chiffre d’affaires et emploie quelque 200 salariés en France.
Mais c’est en 2014 que le rêve américain démarre. « Dans notre stratégie d’entreprise, deux régions nous intéressent : EMEA et l’Amérique du Nord » détaille le dirigeant. Leurs premiers pas aux Etats-Unis se concluront par l’acquisition de deux entreprises, dans le Wisconsin et dans l’Ohio, réalisant 10 M$ de chiffre d’affaires et fusionnées sous l’entité Addev Materials Converting.
La relation directe
« Tout d’abord, nous nous entourons de différents conseils et notamment Pramex qui accompagne les PME et les ETI françaises dans leurs implantations et transactions à l’international. Un cahier des charges dresse le portrait de l’entreprise idéale que nous recherchons : sa taille, ses métiers, son histoire… Pramex fait un premier screening d’une cinquantaine de cibles potentielles. Puis on passe à quinze, à huit et on prend notre billet d’avion pour aller visiter les deux ou trois qui se dégagent vraiment du lot. »
Si ce premier travail de défrichage est confié à un prestataire externe, les deux dirigeants veulent voir sur place, sentir, discuter avec les équipes en place, analyser le potentiel de cette future acquisition dans leur plan de développement. « Notre base line est : human added value, explique Julien Duvanel. Pour cela, notre approche conserve le principe qui nous guide depuis toujours : la relation directe. Nous n’avons jamais fait d’acquisitions intermédiées, car, au-delà de l’aspect technique et financier du dossier, nous voulons sentir les gens qui composent cette entreprise. S’il faut d’emblée changer deux tiers des équipes, ce n’est pas la peine d’investir. »
Les dirigeants d’Addev Materials veulent « piloter en rêne courte ». Lors d’une acquisition, le point le plus sensible reste l’intégration dans une stratégie de groupe. « Les quatre premiers mois, il faut être omniprésent pour imprimer l’empreinte du groupe à tous les métiers et à la fois miser sur les points forts de cette nouvelle entité. Et puis si on ne procède pas tout de suite aux changements nécessaires, on ne les fera plus. » Les 100 premiers jours, « comme ceux d’un président de la République », sont capitaux.
Pas de nœuds au cerveau
La conquête de l’Ouest s’est poursuivie pour Addev Materials, avec, fin 2019, huit sites en Amérique du Nord, sur les 25 que compte le groupe. Il totalise 700 collaborateurs et a réalisé 170 M€ de chiffre d’affaires en 2019, structuré en grands marchés que sont aéronautique, spatial & défense (près de 50 % de l’activité) ; automobiles et véhicules spéciaux ; énergie ; électronique ; construction & habitat ; ferroviaire ; santé ; industrie.
« Acheter une société en Amérique du Nord ne nous fait plus peur », affirme Julien Duvanel dont l’expérience permet aujourd’hui d’aller plus vite. « On passe plus de temps à intégrer une toute petite entreprise qu’une plus grande, mieux staffée, constate-t-il. Durant nos cinq premières années de croissance externe aux Etats-Unis, les entreprises intégrées, toutes en bonne santé, faisaient jusqu’à 5 M€ de chiffre d’affaires avec douze personnes. Lors du deuxième quinquennat, les sociétés réalisaient 5 à 15 M€ de chiffre d’affaires et employaient jusqu’à 40 personnes. »
Une découverte pour les deux dirigeants ? « La rédaction de la cinquantaine de pages du pacte d’acquisition où chaque mot est important. Pour cette étape, des conseillers juridiques biculturels s’avèrent des soutiens essentiels », note Julien Duvanel. Une fois « la documentation juridique nickelle », les relations semblent plutôt au beau fixe entre les deux pays. « Les Américains aiment bien les Français », selon le dirigeant qui les côtoie de près, à raison d’un déplacement aux Etats-Unis toutes les cinq semaines. « Culturellement, ils ont besoin de savoir que quelqu’un tient la barre. »
Une leçon qui lui sert en Europe ? « On ne se fait pas de nœuds au cerveau aux Etats-Unis. Les relations sont plus simples. »
Vivre l’expérience américaine
Cette expérience aux Etats-Unis est aussi un levier de motivation interne. « C’est une véritable ouverture d’esprit qui ne profite pas qu’à Pascal et moi, assure Julien Duvanel. Nous proposons à tous les jeunes que nous recrutons de vivre cette expérience dans nos filiales américaines, avec des postes à responsabilités. Une chance de pouvoir vivre un tel parcours. »
En 2020, la stratégie de croissance externe perdure plus que jamais, pour poursuivre l’ambition de doubler la taille tous les cinq ans. Identifié comme repreneur, Addev Materials reçoit « un à deux dossiers d’entreprises à reprendre chaque mois en Europe ou aux Etats-Unis », confie Julien Duvanel. Mais, du fait d’un très fort positionnement de sa branche aéronautique, le groupe commence à regarder du côté de l’Asie pour 2020 ou 2021. « C’est un nouveau challenge et tout est à explorer pour nous. La barrière culturelle et de la langue, mais aussi des codes font que nous irons progressivement. »