Et si une simple modification de la posture corporelle pouvait influencer non seulement la perception qu’autrui avait de nous, mais également la manière dont nous nous percevions nous-mêmes ? Cette théorie, popularisée sous le nom de « power pose », tire son origine des travaux publiés en 2010 par Amy Cuddy, psychologue sociale à la Harvard Business School, et ses collègues.
L’expérience phare menée par Amy Cuddy consistait à demander à des participants d’adopter pendant deux minutes des postures dites « hautes » ou « basses ». Les postures hautes, ou de pouvoir, impliquaient des positions expansives : bras levés au-dessus de la tête ou mains sur les hanches, pieds écartés. En revanche, les postures basses étaient plus fermées et repliées, par exemple avec les bras croisés ou les épaules affaissées.
Résultat ? Les personnes ayant pratiqué une « power pose » constataient une augmentation de leurs niveaux de testostérone, une diminution du cortisol (l’hormone du stress) et faisaient preuve d’une plus grande prise de risques dans des tâches simulées.
Une technique de préparation
Très vite, l’impact psychologique des « power poses » a trouvé une résonance dans le monde des affaires, des arts et même des milieux sportifs. Sheryl Sandberg par exemple, ancienne directrice d’exploitation de Facebook, aurait intégré cette technique dans sa préparation avant des réunions cruciales, pour renforcer son assurance et sa capacité de persuasion. La méthode a également été popularisée dans des conférences TED, notamment celle donnée en 2012 par Amy Cuddy elle-même. Dans cette vidéo visionnée plusieurs millions de fois, elle accréditait l’idée phare de ses recherches selon laquelle une simple posture peut changer notre destinée en influençant nos états émotionnels et physiologiques.
Des résultats d’ordre psychologiques ?
Tout cela semble un peu trop miraculeux. La « power pose », malgré son succès populaire, a été au cœur de nombreuses controverses scientifiques. Plusieurs chercheurs ont tenté de reproduire les résultats de l’étude initiale sans succès. Une méta-analyse réalisée en 2017 par Simons et Simonsohn (Psychological Science, 2017) a démontré que les effets hormonaux et physiologiques rapportés dans l’étude originale ne pouvaient pas être répliqués de manière robuste. Ces nouvelles expériences, tout en remettant en question les résultats physiologiques de la « power pose » ont toutefois confirmé des effets comportementaux. En d’autres termes, si la posture ne modifie pas nécessairement la chimie du corps, elle semble toujours influencer notre perception de nous-mêmes, augmentant la sensation de pouvoir et la confiance en soi. Bref, les effets existent, mais ils sont d’ordre psychologique.
Ces doutes n’ont pas empêché l’adoption de la « power pose » dans des contextes variés. Les acteurs, par exemple, utilisent des postures de pouvoir dans leurs répétitions pour entrer dans la peau de personnages charismatiques ou dominants. L’acteur britannique Benedict Cumberbatch, qui interprète le célèbre détective Sherlock Holmes dans la série du même nom, a déclaré qu’il utilisait souvent ce type de poses pour renforcer son jeu et se mettre dans la peau du personnage hautain et sûr de lui. Idem avec les sportifs qui, avant de grandes compétitions, pratiquent parfois des « power poses » pour se préparer mentalement. C’est particulièrement visible en athlétisme, sur la ligne de départ.
Ces techniques, bien que controversées, continuent d’être perçues comme un outil efficace pour augmenter temporairement l’assurance, en particulier dans des situations à haute pression où la perception de soi peut jouer un rôle crucial dans la performance. La « power pose » illustre bien l’interaction complexe entre notre corps et notre esprit. Si les preuves concernant ses effets hormonaux restent fragiles et contestées, ces postures semblent réellement influencer nos émotions et nos comportements de manière temporaire.
Façonner notre réalité interne
L’idée selon laquelle notre posture peut modifier notre état mental n’est pas nouvelle ; des philosophes comme William James avaient déjà théorisé que les actions corporelles pouvaient précéder et influencer les états émotionnels. Aujourd’hui encore, la « power pose » soulève la question de savoir dans quelle mesure nous avons le pouvoir de façonner notre réalité interne à travers des gestes aussi basiques qu’un simple redressement du dos ou un étirement des bras.
Crédit photo : Eneko Uruñuela – Unsplash