Depuis deux mois, nous vivons une crise sanitaire sans précédent, avec des conséquences lourdes sur l’économie et le fonctionnement même de nos sociétés et de nos démocraties. Quels sont les atouts de la Scop dans ce contexte inédit ? Le point de vue de Laurence Ruffin, PDG de la Scop ALMA.
Quel impact la crise du Covid-19 aura-t-elle votre activité et les projets d’avenir ?
Le début de notre exercice (depuis octobre 2019) a été très bon, et mars était encore un mois correct. En revanche, nous avons constaté un fort ralentissement sur le mois d’avril, ce qui est complètement inédit pour Alma en 40 années d’existence. Heureusement, Alma s’est au fil du temps développée dans plusieurs activités d’édition de logiciels et de services numériques, et nous sommes par ailleurs présents dans une dizaine de pays. Cette multiplicité permet une plus grande résilience. Nous nous sommes recentrés dans cette période sur les activités qui pouvaient être maintenues (R&D, veille, projets structurants, etc.) et bien entendu sur le maintien de la relation avec nos clients, à travers par exemple la mise en place de formations à distance ou de webinaires. En ce qui concerne nos investissements, nous avons mis entre parenthèses certains projets comme la construction d’un troisième bâtiment ou le rapprochement avec une autre société. Mais ce n’est que temporaire, nous ajusterons nos décisions quand nous y verrons plus clair. Nos fonds propres et notre trésorerie sont solides. Nous n’avons pas d’inquiétude à court terme sur notre capacité à résister à cette crise.
Quelques jours avant le confinement, nous avions lors de notre assemblée générale partagé un projet ambitieux pour l’« Alma de demain ». Nous devrons nécessairement prendre en compte cette crise pour réfléchir à des ajustements de notre stratégie. Cette période pourrait par exemple changer notre rapport au télétravail et peut-être la taille de notre futur bâtiment. Enfin, sur le plan de nos activités, notre présence à la fois dans la santé et le collaboratif pourrait nous ouvrir des perspectives porteuses de sens capables de combiner bien commun et potentiel économique, avec en toile de fond des enjeux particulièrement d’actualité comme la refonte du système de santé ou la citoyenneté dans l’entreprise. Ce pourrait être aussi à travers le lancement d’une nouvelle activité à terme.
De quels atouts la Scop dispose-t-elle pour faire face ?
Cette crise n’est facile à piloter pour aucune entreprise, tant sur le plan économique que sur le plan humain. Pour autant, dans une période aussi anxiogène, une société qui se fonde sur la transparence, le partage de décisions, la prise en main de son destin par tous les coéquipiers, cela apaise et facilite l’action. Au sein d’Alma, nous avons cherché à aborder la situation avec humilité et bienveillance pour maintenir la cohérence et la transparence de nos actions. Cette crise met aussi au grand jour le besoin de liens et de solidarité. C’est un moment où l’on cherche davantage la cohésion, l’attention à l’autre… On a envie de vivre différemment, ensemble. La coopération correspond justement à ces aspirations.
Les Scop résistent statistiquement mieux aux crises grâce à un de leurs principes fondamentaux : une part des résultats est mise en réserves chaque année, en moyenne 40 % chez Alma. Ainsi, les Scop peuvent disposer de fonds propres plus importants que les autres entreprises de taille équivalente, et donc de trésorerie. Ces réserves impartageables, qui sont un bien collectif, font aussi qu’une Scop ne peut être ni vendue ni délocalisée. Des principes qui prennent tout leur sens dans le contexte actuel. En effet, la crise sanitaire que l’on traverse révèle la limite des délocalisations de production pour réduire les coûts, la fragilité de notre dépendance à des chaînes d’approvisionnement internationales à flux tendus, et notre vulnérabilité sur des produits stratégiques comme les masques ou les médicaments. Cela rend criantes l’importance de la production locale et la nécessité d’une industrie française forte et compétitive. Or la Scop, qui n’est pas délocalisable et qui est ancrée sur son territoire, porte en elle une vision de l’économie basée sur la production en France, valorisant les emplois et les circuits courts.
En quoi le modèle coopératif peut inspirer le « monde d’après » ?
Nous traversons une crise sanitaire terrible, doublée d’une crise économique sans précédent. Mais nous en vivons une autre plus insidieuse, qui se révélera probablement encore plus dramatique d’ici quelques années : la crise environnementale. Nous avons la preuve que l’État, les citoyens et les entreprises sont capables d’une mobilisation collective, de prendre des mesures rapides et fortes, de recréer des écosystèmes industriels nés d’une volonté de solidarité et de coopération locale. Le gouvernement veut « interroger le modèle qui dévoile ses failles au grand jour ». De nombreux citoyens espèrent un « monde d’après » plus solidaire, plus juste, plus respectueux des personnes et de la planète.
Or les Scop et les Scic mettent en œuvre une démocratie économique sur le terrain et participent à la construction d’un modèle économique différent. Je ne prétends pas que le statut soit parfait ou qu’il réponde à lui seul à nos problèmes, mais il peut montrer le chemin vers une économie au service de l’intérêt général, environnemental et social. Intégrons toutes les parties prenantes, à commencer par les salariés, dans le pilotage des entreprises, développons des entreprises qui associent les salariés, les usagers, les forces vives d’un territoire. Et investissons dans des politiques industrielles ambitieuses et « vertes », dans une agriculture écologique et la recherche massive dans des secteurs d’avenir respectueux du climat, en reconsidérant notre approche de la répartition de la richesse, de notre consommation et notre rapport à la nature… Nous avons une occasion unique de faire un virage vers une économie humaniste, écologique et démocratique, saisissons là !