« Protégeons ceux qui nous protègent ». C’est à partir de cette idée que deux dirigeants de Cabestany (Pyrénées-Orientales), David Montané, plombier de profession, et Jean-Baptiste Torres, chef d’entreprise dans la sécurité incendie (Siplan) et dans l’impression grand format (Atelier Numerik) se sont unis pour créer le collectif « Les petites mains du 66 ». Ils ont fait de l’entraide face à la pandémie de Covid-19 un véritable modèle économique qui devrait faire des émules.
Tous les soirs, à 20 heures, ils voudraient bien applaudir le personnel soignant, mais ils sont trop occupés dans les ateliers. Préparer la production du lendemain. Remplir les bons de livraison. Combien de « sur blouses » à fournir aux Ehpad ? Ils ne vont pas se coucher avant 2 heures pour se lever à 6 heures. « Les nuits sont courtes, nous suons, nous ne comptons pas les heures, mais nous sommes épanouis ! » David est l’homme de l’ombre qui, depuis des années, n’a qu’un verbe comme leitmotiv : réparer. Il aime rendre service. « Je disais souvent à ma femme : j’ai du mal à trouver gens comme moi. Là j’en vois plein ! ». Leur partenariat crée une dynamique d’entraide. Jean-Baptiste, chef d’entreprise, se souvient d’avoir « pris une claque » le 16 mars. Comment se confiner lorsqu’on est hyperactif ? « Quatre jours d’horreur et de stress à faire les cent pas ». Ils se sont connus sur le réseau Facebook. « J’ai découvert un artisan extraordinaire, il recherchait du plexiglas, je lui ai dit : tu as l’idée, j’ai les outils ».
David l’alerte sur le manque de protection dans les pharmacies et les commerces recevant du public. Il commence par réaliser chez lui des protections en cellophane pour tous et Jean-Baptiste lui propose ses machines de découpe pour faire des protections en plexiglas. Dans l’urgence, ils commencent par les offrir jusqu’à ce qu’une nouvelle demande explose pour les blouses de protections. « Très émus par le désarroi du personnel médical et les infirmières en larme, on s’est dit, il faut y aller ». La bricole devient un projet entrepreneurial. « La mondialisation fait que l’industrie n’est plus capable de répondre à la demande et bien donnons l’exemple, il n’y a pas de fatalité » Leur complémentarité fait des merveilles. En un week-end, ils mettent au point des prototypes de surblouses et réussissent à récupérer des matières premières (tissus, bobines de fil…) Après avoir obtenu le feu vert de médecins, de couturières, d’ingénieurs textile et des services d’hygiènes et sanitaires locaux, ils créent leur première blouse. Reste à motiver des petites mains.
Le 9 avril, à 14heures, la plateforme Les petites mains du 66 est ouverte sur Facebook. « Une chaîne solidaire s’est créée afin d’offrir les surblouses aux hôpitaux, aux EHPAD et aux infirmier(e) s locaux. Si vous pouvez apporter votre aide (couture, logistique, découpe, restauration) ou si vous avez des besoins pour vous équiper : rejoignez le groupe Les petites mains du 66 ». A 16h, 600 personnes ont « liké » et les volontaires affluent « On a vu arriver le barman, l’assistante sociale, le vendeur de bateaux.. ». « Le lundi, nous avons démarré la production, j’ai sorti des gens du chômage partiel, 6 salariés sur 28 » raconte Jean-Baptiste Torres. « Cela faisait deux ans que je rongeais mon frein, j’avais envie de donner plus de sens à ma vie en aidant les autres, cette crise est apparue comme une opportunité ». Autour d’une entreprise, c’est un véritable collectif d’entraide et de solidarité qui s’est mis en place à travers les Pyrénées-Orientales : 42 personnes à l’atelier de confection pour découper les tissus et les coudre « tout en respectant les gestes barrières ! » et près d’une cinquantaine de petites mains à domicile. Relayée dans les médias et sur Internet, l’initiative a un retentissement national. Des CHU de toute la France comme ceux de Lyon et Nantes les ont récemment contactés.
L’enjeu est de créer le monde de demain, celui d’une France indépendante qui encourage les entreprises à se réindustrialiser et à acheter local.
Convaincus par cette démarche, les deux citoyens entrepreneurs ne veulent pas en rester là. « Avec nos “tutos”, on veut en faire d’une initiative locale un mouvement national, on veut être des “dirigeants alerteurs”. A partir de vidéos, ils comptent initier des ateliers un peu partout. “L’enjeu est de créer le monde de demain, celui d’une France indépendante qui encourage les entreprises à se réindustrialiser et à acheter local”.