A tout miser sur la croissance, les plateformes technologiques de la nouvelle économie ont tendance à oublier ce qui cimente la valeur et la pérennité d’une entreprise : la confiance.
Take Eat Easy, la plateforme belge spécialisée dans la distribution de repas à vélo, placée en redressement judiciaire en 2016 ! Fin de course brutale pour 180 salariés et 4 500 cyclo-coursiers en Europe, dont 2 500 en France. En à peine trois ans, Take Eat Easy avait pourtant réussi à créer et installer une marque forte dans le paysage en plein boom du « tech food ».
Mais cette défaillance est-elle tellement surprenante ? Si les plateformes digitales de services désintermédiés sont en train de bousculer le monde économique, elles sont loin, y compris pour les plus grosses d’entre elles, d’avoir trouvé leur modèle économique. Malgré l’ingéniosité de son offre, malgré une croissance mensuelle de 30 %, Take Eat Easy n’est jamais parvenu à générer des revenus suffisants pour couvrir ses coûts et s’est avéré incapable de clôturer une troisième levée de fonds.
Course effrénée à la croissance
La plupart des startups fondées sur les technologies numériques se sont engagées dans une course effrénée à la croissance. Leur objectif : être les premières sur leur terrain, devenir incontournables, pour in fine être les seules. A l’image d’Amazon qui, non content d’être quasiment le seul acteur majeur dans son domaine, grignote inexorablement des parts de marchés aux commerces traditionnels et aux grandes chaînes de distribution.
Pour se développer de manière pérenne, une plate-forme doit bien sûr être rentable. Mais elle doit également être attractive, au moins autant pour ses fournisseurs-collaborateurs que pour ses clients.
Or, à tout miser sur l’effet de taille et la conquête, ces entreprises ultra-technologiques peuvent escamoter les deux éléments qui fondent la valeur d’une entreprise : l’humain et la confiance qu’on lui porte. Il ne suffit pas de connecter une offre et une demande via quelques algorithmes pour construire un business pérenne. « Une offre de service se construit et grandit sur un échange bien identifié, bien compris, bien accepté, entre un fournisseur-collaborateur (qui apporte ses compétences, son énergie, son temps de travail) et un client (qui garantit les revenus). Pour se développer de manière pérenne, une plate-forme doit bien sûr être rentable. Mais elle doit également être attractive, au moins autant pour ses fournisseurs-collaborateurs que pour ses clients », explique Olivier Fernandes, fondateur et CEO de Colibee, réseau de consultants indépendants en conseil en management et systèmes d’information.
Collaborateurs mercenaires
A lui seul, Uber cristallise toute la fragilité des modèles qui ont négligé la confiance. Sila startup a incontestablement battu tous les records sur le plan médiatique, au point de donner naissance à un modèle générique de rupture économique et sociétal — l’« ubérisation » —elle souffre d’un manque total de confiance. Pour la corporation des taxis Uber est synonyme de menace et pour l’opinion publique de dérégulation tous azimuts. Et que dire des chauffeurs, mal payés, pas couverts, peu considérés… Aussi peu que les bikers de Take Eat Easy. A peine la startup avait-elle mis la clé sous la porte qu’ils s’empressaient, en bons mercenaires, d’enfiler le dossard de l’ex-concurrent, le Britannique Deliveroo.
« La confiance entre un employeur et ses collaborateurs repose sur quatre types de contrats : contrat explicite (attentes et engagements formels), contrat implicite (attentes et engagements informels, pratiques historiques), contrat réel (pratiques et résultats constatables), contrat perçu (pratiques et résultats interprétés) », développe Michel Barabel, professeur en gestion des ressources humaines. Parce qu’il relève essentiellement de ressorts psychologiques, ce socle contractuel est très fragile. Il faut donc sans cesse veiller à en repréciser la teneur et la valeur, à le rendre lisible, crédible, acceptable et attractif. Et là, les algorithmes sont impuissants.