La guerre entre les générations est ancestrale. Déjà du temps de Platon, les patriarches jugeaient avec sévérité la jeune génération : des insolents méprisant toute forme d’autorité. Et les jeunes n’avaient pas plus d’estime pour leurs aînés, pétris dans leurs certitudes et réfractaires à toute forme de changement. Mais ce n’est que depuis une dizaine d’années que les conflits entre générations ont quitté la sphère privée pour entrer dans l’entreprise. Et c’est un vrai casse-tête pour les managers et dirigeants d’entreprise. Comment faire travailler ensemble 3 générations qui ont des approches et attentes si différentes de l’entreprise, du travail et de la hiérarchie ? Explications et réponses d’Elisabeth Lahouze, consultante RH et auteure du Choc générationnel. Comment faire travailler ensemble 3 générations (3e édition), aux Editions Maxima.
Comment les « générations » sont devenues un sujet pour les entreprises ?
Elisabeth Lahouze : J’exerce depuis près de 20 ans le métier de consultante RH. A ce titre, j’anime des séminaires et conférences. Ce sont des moments où les managers se livrent. Il y a toujours eu des critiques des seniors envers les plus jeunes. Mais, il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à ressentir une différence. Les critiques étaient plus argumentées et nombreuses. Les managers, DRH et dirigeants d’entreprise étaient déboussolés par cette nouvelle génération : les « Y ». Élevés selon les préceptes de Françoise Dolto, ces derniers ont pris l’habitude dans la sphère familiale et à l’école de donner leur avis et d’être consultés. En arrivant sur le marché du travail, ils ne se sont pas tus. Au contraire ils ont énoncé et affirmé clairement leurs attentes vis-à-vis de l’entreprise. Des managers et responsables RH me confiaient en séminaire, se retrouver lors des entretiens d’embauche face à de jeunes candidats les interrogeant sur la politique de formation de l’entreprise, les parcours de compétences, les mobilités internes. Des questions qui jusque-là n’avaient jamais été ou très peu, posées. Le jeune candidat ne vient pas uniquement pour décrocher un poste, il vient acheter des expériences, formations, et compétences. Les différents témoignages recueillis lors des séminaires m’ont conduit à mener l’enquête, et à écrire ce livre. Je me suis également rendu compte qu’en entrant dans l’entreprise, la génération Y avait libéré la parole. Les entreprises se sont alors rendues compte que chaque génération avait son propre rapport à l’entreprise, au travail et à la hiérarchie.
Quelles sont les particularités de chacune des trois générations dont vous parlez dans votre ouvrage : les seniors, les « X », les « Y » ?
E. L. : Les Seniors, ou Baby-boomers sont arrivés sur le marché du travail à une époque de prospérité économique. Les opportunités d’emploi étaient nombreuses. À l’époque, on envisageait de faire toute sa carrière dans la même boîte. Il y a chez les seniors, une loyauté vis-à-vis de l’entreprise. D’ailleurs quand ils se présentent, ils disent « je travaille pour Peugeot ou IBM » quand un jeune se présente par son métier « je suis développeur ». Il y a ce fort sentiment d’appartenance à un collectif. Ils font preuve d’une forte conscience professionnelle. S’ils fournissent les efforts nécessaires, ils grimperont les différents échelons de la hiérarchie. Ils respectent l’autorité, la hiérarchie et les titres.
Mais les « Y » sont arrivés dans l’entreprise. Ces derniers se voient comme des collaborateurs, gérant leur carrière comme des indépendants. Ils n’accordent aucune importance aux titres. Sous leur pression, la hiérarchie a été quelque peu remise à plat, et les parcours de carrière traditionnels, verticaux, ont été remis en cause. Les « X » dès lors craignent que les « Y » ne leur volent leur tour et soient promus, à leur place, dans des postes de direction.
Quels défis pour le management ?
E. L. : Dans mon ouvrage, j’aborde le cas d’un jeune manager de 35 ans qui se retrouve à devoir manager une équipe de seniors. Son autorité est contestée. Personne ne partage les informations ni ne propose des idées. La préoccupation principale des membres de l’équipe est de savoir qui est le chef, qui est le plus gradé. Ces conflits viennent d’un manque de compréhension entre deux générations.
Je conseille au manager de se mettre à la place des seniors et d’adapter son mode de management. Les seniors sont peu à l’aise avec le travail d’équipe et une organisation du travail en mode projet. Ils ont pris l’habitude de travailler en silos, avec une hiérarchie très présente. Ils ont fait la majorité de leur carrière avant la démocratisation d’Internet, l’apparition des réseaux sociaux, des messageries instantanées. A cette époque, le chef était celui qui savait. Le savoir c’est le pouvoir ce qui explique leur réticence à partager les informations. Le manager doit d’abord les rassurer en valorisant leur expertise. Ils ont une forte expérience de leur métier, mais aussi de l’entreprise. C’est précieux. Ensuite, il doit leur montrer ce qu’ils peuvent gagner à travailler en équipe : une plus grande efficacité, chacun s’aide et c’est bénéfique pour tous.
Comment éviter les conflits dans une équipe où les 3 générations sont réunies ?
E. L. : Il faut favoriser la communication afin que chacun comprenne ce qu’il apporte et ce que l’autre peut lui apporter. Les seniors ont, comme je l’ai souligné, une grande expérience métier, et de l’entreprise. Les X sont les mieux amène à faire le lien entre les jeunes et seniors. Quant aux « Y », ils ont un œil neuf et une forte maîtrise des nouveaux outils de communication. Pour faciliter les échanges, le manager et l’entreprise disposent de nombreux outils : le tutorat, le tutorat inversé, les réseaux sociaux d’entreprise.
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