Alexandre Diot est responsable du marché des entreprises et de l’ingénierie financière à la caisse d’Epargne Loire Drôme Ardèche. Diplômé de l’ESCP, cet ancien entrepreneur a plus de 15 ans d’expérience dans la banque et l’accompagnement des entreprises. L’occasion de faire un point avec lui sur le marché de la cession/transmission d’entreprises.
Quelle est la tendance aujourd’hui, compte tenu des circonstances, de la reprise d’entreprise ?
Depuis une dizaine d’années, nous assistons à un ralentissement du nombre de cessions/transmissions. Cela entre en contradiction avec le vieillissement des dirigeants, de départ en retraite des baby-boomers. C’est un marché assez paradoxal : il y a des gens qui affirment vouloir céder, mais face à cela le nombre de cessions/transmissions diminue. Les dernières études de l’Observatoire de la BPCE en 2019 pointent le manque de candidats à la reprise. Les dirigeants vendent plus tard. Les transmissions familiales sont à la hausse (donation ou cession), notamment chez les petites entreprises qui sont pérennes et installées. On assiste également à un phénomène de concentration, où une grosse entreprise en achète plusieurs petites. Avec la crise que nous connaissons, ce ralentissement s’accentue.
Il y a un gros attentisme sur l’évolution du contexte économique et sanitaire, mais certains secteurs (le green business, le made in France, les services à la personne, l’industrie du bien-être) sont moins impactés par la crise. De même, les acteurs économiques du territoire s’organisent pour éviter que les entreprises rachetées passent sous pavillon étranger et quittent la France.
Pour cela, il y a des dispositifs de fonds régionaux dédiés au maintien des industries et des emplois sur le territoire ; ceux-ci sont à même d’investir en fonds propres dans les entreprises françaises. 50 % de l’investissement se fait avec des fonds publics (métropoles, région), 50 % proviennent des investisseurs institutionnels (banques, mutuelles ou personnes physiques). Nous assistons à une baisse des reprises par des entrepreneurs seuls, mais à une hausse des reprises qui associent investisseurs financiers et repreneurs, et ce pour des entreprises de plus en plus petites.
Concrètement, comment accompagnez-vous vos clients lors d’une reprise ?
En les finançant évidemment, mais de plus en plus, nous nous positionnons en conseil pour orienter les repreneurs vers les aides publiques et en les aidant à bien s’entourer (investisseurs financiers, cabinets d’experts pouvant réaliser des audits). Nous accompagnons à la construction du plan de financement le plus adapté à leur projet. Nous avons par exemple accompagné un cadre dirigeant d’un grand groupe à se lancer et à concrétiser sa reprise d’entreprise. Nous l’avons aidé à identifier des cibles potentielles. Malgré un apport personnel non négligeable, il fallait tout de même réunir des investisseurs et organiser un tour de table des banques pour compléter. Nous avons coordonné la démarche de reprise, puis nous avons accompagné ensuite notre client dans ses besoins bancaires plus classiques (renouvellement des machines, flux à l’international pour soutenir son développement à l’export).
Quels sont pour vous les points de vigilance sur un dossier ?
Ces points de vigilance sont les mêmes pour le banquier et pour le repreneur. Le premier point, surtout maintenant, c’est le secteur d’activité de l’entreprise. Certains secteurs sont très impactés avec la crise. Dans une reprise, le point crucial, c’est la viabilité de l’entreprise et sa capacité à faire croître son activité. Nous attachons également de l’importance aux moyens non financiers de l’entreprise : état des machines et des locaux, ressources humaines (hommes-clés, pyramide des âges, turn-over, compétences…). Bien sûr, nous sommes attentifs au montage financier de la reprise, notamment par rapport à la part de dette dans le plan de financement. Il faut essayer d’avoir un financement suffisamment équilibré pour que l’entreprise puisse faire face et puisse rembourser ses échéances.
Quels sont les points de vigilance pour l’acheteur ?
L’acheteur doit s’orienter vers une cible dans un secteur pour lequel il a de l’appétence et des compétences. Il doit être lucide sur ses compétences et doit si besoin, faire un bilan sur ce sujet. C’est encore plus vrai pour un néo-entrepreneur. Il faut également faire attention au rythme : ne pas se précipiter, ne pas tomber dans l’achat compulsif, bien faire le tour de toutes les informations disponibles sur l’entreprise et les analyser. Il faut se donner un planning. De même, il faut être lucide sur sa capacité d’investissement personnel. C’est-à-dire être capable de s’impliquer personnellement sur le plan financier. Au-delà de l’apport personnel, l’acheteur peut être amené plus tard à recapitaliser. Il importe aussi de sonder la motivation du vendeur : pourquoi désire-t-il vendre ? Est-ce parce qu’il veut passer à autre chose, à un nouveau projet ou est-ce une solution de secours, une échappatoire par ce que l’activité est fragile ? Dès lors, le vendeur n’a-t-il pas tendance à « embellir la mariée » ? Autre point qui nécessite de l’attention : veiller à l’accompagnement éventuel par le cédant. Disparaît-il ou bien s’engage-t-il à rester quelques mois, contractuellement ou non, pour assurer une transition ? Nous nous intéressons également à la valorisation de l’entreprise. Le repreneur n’achète-t-il pas trop cher ? Et puis enfin, dernier point de vigilance, nous essayons d’évaluer la qualité et la diversité de la clientèle de l’entreprise et celle de ses fournisseurs.
Et côté vendeur ?
Le vendeur doit être lucide sur le prix de l’entreprise. Comme dans l’immobilier, il faut fixer le prix que vaut réellement l’entreprise, et non le déterminer en fonction de ce que l’on voudrait en tirer pour assurer son projet futur. Sinon il sera difficile de trouver un acquéreur, et la vente prendra du temps.
Votre sentiment sur votre métier, après 20 ans d’expérience ?
C’est un métier passionnant. Je rencontre des personnalités fortes, des entreprises diverses avec des problématiques variées. Après avoir été moi-même entrepreneur à une époque, mon métier de banquier me permet de garder le contact avec ce milieu que j’affectionne particulièrement.